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Système national de santé: Le bâti, ne peut à lui seul, suffire à l'acte de santé

par Farouk Zahi

Ce ne seront pas les dizaines d'hôpitaux, la centaine de polycliniques et le millier de salles de soins prévus dans le plan quinquennal(2010-2014) qui vont améliorer, à eux seuls, la prestation sanitaire. Il est vrai, que ces nouvelles infrastructures vont densifier le tissu existant, mais elles ne régleront pas le déséquilibre spatial de la ressource humaine car, c'est ce potentiel qui génère l'acte de soins. On parle, aussi de la réalisation de 27 écoles paramédicales, c'est encore infrastructurel ; la quantité et la qualité, ne sont pas évoquées. Quant à la formation médicale, celle-ci est passée sous silence du fait, bien évident, qu'elle relève d'un autre département, l'Enseignement supérieur, en l'occurrence. Et à ce propos, doit-on continuer à dépendre, d'un autre département pour pourvoir à des besoins encore évolutif ? D'aucuns, ne manqueront pas de trouver le propos hérétique ; sachant que la formation médicale a été de tout temps l'exclusive de l'Enseignement supérieur. Ceci n'empêche en rien de prospecter d'autres pistes, jusque là éludées. Le secteur de la Santé, comme chacun sait, est le premier employeur de la filière médicale. La répartition actuelle des ressources humaines, qui pêche déjà par son déséquilibre quantitatif, n'offre sur le plan qualitatif que peu d'alternative pour l'accès équitable aux soins spécialisés. Même en médecine omnipraticienne, il était relevé il y a, à peine quelques années, des distorsions que nulle motivation ne peut justifier. Quand la wilaya de Tamanrasset (150.000 Hab) ne disposait que de 40 postes budgétaires de médecins généralistes et dont le territoire avoisine le quart (1/4) de celui du pays, la daira de Sidi M'hamed (Alger), à population presque égale, disposait d'un nombre multiplié par 10. Sur les quelques 27.000 médecins, 8.000 chirurgiens-dentistes et 4.000 pharmaciens soient près de 40.000 praticiens médicaux, le Centre du pays s'accapare 55% des effectifs, l'Est 22%, l'Ouest 20%, le Sud-est 02% et le Sud- ouest 01%.(*).

Le secteur de la Justice, placé dans le même contexte, a, depuis bientôt quelques années déjà, trouvé la parade ; il recrute sur concours et forme ses propres magistrats. Pourquoi le secteur, dont il est question ne ferait-il pas la même chose pour ses médecins spécialistes de santé publique pour pourvoir, au moins, à ses besoins pour le Sud et les zones dites défavorisées médicalement et sans recourir à la coercition de l'obligation du service civil ? La procédure aura le triple avantage de compter ses troupes, d'améliorer la qualité des connaissances acquises par l'adaptation au contexte local et de rétribuer ces compétences sur la base du cursus final ainsi obtenu. Il nous suffit, parfois, de ne pas regarder trop loin, pour trouver la solution idoine. Le secteur judiciaire, semble réussir dans le registre de la promotion professionnelle de son encadrement de terrain.

Cette approche, même si elle est réalisée, demeurera néanmoins insuffisante. Pour que l'assise pyramidale soit consolidée, il serait souhaitable de lui adjoindre quelques moellons angulaires. Il s'agit bien évidemment du redéploiement régional progressif, des institutions sanitaires à statut national. L'Institut pasteur d'Algérie, l'Institut national de santé publique, la Pharmacie centrale des hôpitaux et secondairement le Centre national de toxicologie, ont assez « louvoyé » pour, on ne sait quelles motivations techniques, demeurer indéfiniment sur la seule bande côtière du territoire national. Sait-on au moins qu'il faut toute une logistique couteuse pour soumettre une tête d'animal, suspect de rage, à la confirmation du laboratoire de référence situé à des centaines voire des milliers de kilomètres ? La lame de verre portant étalement d'un échantillon de sang pour dépistage de paludisme, est toujours soumise à confirmation centralisée. Il en est de même pour le diagnostic du VIH/sida. Ce qui est scientifiquement admis, ne l'est forcément pas, en termes strictement économiques. Les coûts induits et les déperditions sont des facteurs contraignants à ne pas négliger. Une timide tentative de décentralisation de l'Institut pasteur a été tentée, il y près d'une dizaine d'années, mais elle n'a pas été au-delà du Hodna. Et pourquoi spécialement cette cible ? Les wilayas d'Adrar, de Bechar ou même de Ouargla, auraient été plus indiquées, compte tenu de leur éloignement. L'on nous dira que ces points géographiques sont reliés à la capitale par des vols réguliers. Certes ! Mais la culture du fret aérien n'est pas encore dans les mœurs administratives ; pour preuve s'il en était, le carrousel de camions qui sillonnent ces immensités pour l'approvisionnement en médicaments et produits connexes à partir d'Alger, d'Oran et d'Annaba avec tous les risques que cela comporte. La substitution des défuntes Enapharm, Encophar et Enopharm par la Pharmacie centrale des hôpitaux avait fait nourrir beaucoup d'espoir chez les clients hospitaliers qui pensaient candidement que le groupe pharmaceutique allait se redéployer régionalement ; il n'en a été, malheureusement, rien. L'implantation à Ouargla et à Bechar, aurait certainement rapproché, substantiellement, les sources d'approvisionnement des prescripteurs du Sud.

 Les «bombes» roulantes que constituent les bouteilles de gaz médicaux, ramenés des centres enfuteurs ont, pendant longtemps, été la phobie des gestionnaires du Sud et même du Nord, notamment, pendant les turbulences qu'à connues le pays à une certaine époque. Et s'il fallait glorifier quelqu'un, c'est bien ces conducteurs et ces convoyeurs qui bravaient le danger mortel qui pouvait les surprendre au détour, d'une hamada ou d'une route de montagne. Rares ceux, d'entre eux, qui auraient refusé d'accomplir ce devoir. L'Entreprise nationale des gaz industriels (ENGI) a fait un effort louable en livrant par camions citernes les établissements qui disposaient d'évaporateurs à oxygène de grande capacité.

 Quant aux évacuations sanitaires des patients, celles-ci subissent les aléas d'un parcours sinueux et éprouvant ; aussi bien, pour les patients que pour les accompagnateurs. En dehors de l'urgence avérée qui n'est prise en charge par les ambulanciers de la Protection civile de l'aéroport Houari Boumediene que si elle se dirige sur l'hôpital Salim Zemirli ?territorialité oblige-; les autres destinations sont à la seule charge de l'infirmier. Il se débrouillera comme il pourra pour trouver le moyen de locomotion le plus approprié. Les tracasseries du rendez vous sont incommensurables; il y a souvent discordance entre la date du vol régulier d'Air Algérie et le jour fixé par la structure hospitalière d'accueil. Les vols du Sud, généralement programmés la nuit, déposent leur «cargaison» au petit matin. Les malades sur civière, attendront la levée du jour dans les halls de l'aérogare sous le regard surpris ou compatissant des voyageurs. Et, là encore, il n'est pas dit que le service d'accueil hospitalier consente à prendre en charge le cas morbide. L'accompagnateur, fera souvent du porte à porte pour enfin, confier son malade. Il n'est pas rare, que « l'expédition » échoue lamentablement, avec le désespoir des causes perdues. Loin de nous l'idée de vouloir donner des leçons aux responsables chargés de la chose, mais des petits amendements à ce qui se pratique actuellement, pourraient améliorer le sort de ces patients en détresse. Moyennant quelques équipements roulants, le service du contrôle sanitaire, pourrait s'en acquitter honorablement évitant aux évacués les effets négatifs de cet éreintant parcours. Il est parfois de simples mesures correctives, qui peuvent à elles seules, soustraire ces patients à la coriace bureaucratie qui se dissimule sous l'épais brouillard d'une réglementation incommodante.

Source :

(*) Santé en Algérie : Prestations de soins ou prestations de services ?  Pr Hocine Benkadri (El Watan du 25-10-2004)