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Bled el-makhzen

par Ali Brahimi

A la fin du XVIIIe siècle, Bled el-makhzen désigne le pays soumis aux impôts collectés sur un tiers du territoire septentrional du royaume alaouite, fondé en 1664.

Tandis que « Bled el-siba » est considéré comme insoumis tout en demeurant relié, d'une façon ou d'une autre, à l'institution du Maghzen. En fait, un territoire imprécis et extensible dans l'imaginaire collectif post andalous des populations tribalisées et, notamment, dans celui des maîtres à penser du Maghzen alaouite. Ainsi, il demeure un mythe héréditaire que les royaumes et dynasties, se succédant depuis le moyen age, s'y attachent profondément en entremêlant foi divine et divination.

Jusqu'à nos jours des tribus algériennes sédentaires et nomades, notamment de l'Atlas saharien, prétendent être originaires de Seguia el Hamra ou Oued Dhahab. Il existe même des lieux-dits portant leurs noms. A l'image des nobles Touaregs dont leur reine mythique Tin-Hinan serait originaire de Tafilalet siége du maraboutisme et le foyer initial de la monarchie alaouite, d'extraction sahelo-africaine, et des autres filiations dites chérifiennes par analogie a Idris 1er venu d'Orient, porteur de la baraka, s'installant à Volubilis cité romaine prés de Meknès.

A l'occasion de la célébration du 20 août 1955 symbolisant la lutte commune des deux pays frères, algéro-marocain, pour se libérer joug colonial, le roi Mohamed VI a encore parlé des territoires Sahraouis lesquels, d'après ses intentions franchement affichées, resterons attelés à la monarchie. Cette année, l'anniversaire du 20 août 1955 a coïncidé, bizarrement, avec la résurgence médiatique liée aux opérations de dépossession effectuée en 1973, en application d'un décret royal du défunt Hassan II, sur prés de 20 000 hectares de terres agricoles, et annexes liées, appartenant légalement à des Algériens résidents depuis belle lurette au Maroc.

A l'époque, des faits, c'était une action « écran de fumée » pour dissimuler voire faire diversion à celle plus grande enclenchée en 1975 soit 20 ans après le 20 août 1955. Il s'agit bien évidemment de la fameuse marche verte sur le Sahara occidental occupé, depuis le début du précèdent siècle, par l'Espagne le divisant en deux districts administratifs : le Rio de Oro - Oued Dhahab - au sud et Seguia el Hamra au nord ; puis « délaissés » au profit du Maroc en contrepartie des enclaves de Ceuta et Melilla, disent les mauvaises langues, du temps de Caudillo Franco chef suprême de l'armée et du gouvernement espagnol agonisant au mois de novembre 1975 coïncidant curieusement avec ladite marche verte regroupant, ont-ils estimé les organisateurs, prés de 350.000 personnes.

Un «hasard» de l'histoire favorable au défunt Hassan II. Sa seconde baraka - après celles des coups d'Etats avortés - interviendra en 1979 tout juste après la disparition du défunt président Houari Boumediene. En effet, Hassan II avait, sans crier gare, annexé la quasi-totalité du territoire et l'a divisé en quatre provinces : Boujdour, El-Aïun, Smara et Oued el-Dahab. Celle de Tindouf, ainsi perçue par le Maghzen, il la considère désormais hors de sa portée après sa surprenante tentative d'invasion tout juste après l'indépendance de l'Algérie en 1962. Une vacherie avortée.

Aujourd'hui, de par son dernier discours, le jeune roi confirme la démarche de son père et le choix dudit maghzen vis-à-vis de ses relations, avec l'Algérie, malheureusement enchevêtrées à cause de l'équation du Sahara occidental et, par ricochet, l'accroc des frontières entre l'Algérie et le Maroc en suspens depuis bientôt un demi- siècle. Un gâchis !

Durant 35 ans, ce climat délétère ne cesse d'empester les rapports millénaires entre les deux pays ayant pourtant, actuellement, beaucoup d'atouts pour mieux construire l'avenir, de tout le Maghreb, mais qu'à cause d'un conflit exagérément amplifié, de part et d'autre, des générations de maghrébins sont sacrifiés sur l'autel de la bêtise issue des officines combinant pêle-mêle archaïsme et modernisme de gouvernance.

A l'image des deux hauts responsables de partis politiques algériens susceptibles de peser sur la politique interne et externe du pays voire de la région maghrébine, justement, au vu de leurs importances idéologiques respectives et respectables malheureusement amoindries, au fil du temps, par leurs comportements ambivalents voire hypocrites : l'un se coiffant à la mode d'un makhzeni alaouite avec toutefois les gestes et grimaces « convaincantes » d'un ancien responsable dudit parti se positionnant « progressiste nationaliste », genre baathiste, nous faisant déboucher au 5 octobre 1988 et ses multiples répercussions en cours à ce jour. Et puis, l'autre avatar, post 5 octobre 1988, se considérant « conservateur moderniste » ( ?), genre islamiste modéré, se coiffant comme un mahdi soudanais non moins maraboutique. Ces deux poncifs, représentant le reste des autres tendances politiques, ainsi accoutrés, ont pour dominance atavique : Dépersonnalisation et obéissance aveugle au maître du moment Ils peuvent se transformer, sans crier gare, jusqu'à renier leurs convictions dans le cas ou ils en possèdent. Ce qui n'est pas évident. Comme, par exemple, adopter un autre discours tempéré voire conciliant à l'encontre des agissements du Maghzen. Que des versatilités et confusions.

A l'image du projet de loi, incriminant le passé colonial de la France en Algérie, se trouvant actuellement dans le labyrinthe des institutions gouvernementales attendant un hypothétique déclic - feu vert - de plus en plus grippé. En attendant, le Parti libérateur du pays, afin de faire une volte-face arrangeante, s'en lave les mains de ce projet de loi d'après un ancien membre dirigeant se trouvant aujourd'hui dans les dédales de la défaveur pour avoir proféré cette phrase mal a propos ainsi jugé par d'autres obédiences..

Aux temps actuels, le maraboutisme, dans toutes manifestations, promet monts et merveilles afin qu'il s'empare des consciences troublées des gens à la merci des vicissitudes de la vie. Le Maghzen alaouite, qui est le véritable maître à penser initial des comportements ci-dessus décrits, se considère comme le dévolutaire légal de ce soi-disant siba ou Beit essbil. Lorsqu'on veut déshériter ou faire déchoir quelqu'un, on lui disait qu'il est déchu du Beit essbil.

Loin de ces carcans à dormir debout, le Sahara occidental, de par sa géographie particulière liée à son histoire non moins spécifique, s'inscrit bel et bien dans un processus du libre choix des populations autochtones à s'autodéterminer dans la transparence. C'est ce qui à été réaffirmé, par le président algérien, à l'intention du président sénégalais dont le pays est lié, en grande partie, aux pratiques religieuses affiliées a la zaouïa - tarîqa - tidjania. Un autre terraïbite d'un nouveau genre couvé et utilisé sous l'ère coloniale

Il était en compagnie d'autres présidents africains lors d'une rencontre, il y a quelques années, pour s'enquérir à ce sujet et qu'ils ont eu la réponse suivante : « Que les sahraouis choisissent librement leur destin et l'Algérie acquiescera quel que soit le résultat de cette consultation», avait-il confirmé et signé le président de la République algérienne devant la télévision. Par expérience, l'Algérie foncièrement attachée au droit des peuples à s'autodéterminer, pourrait-elle se contredire au plus haut niveau de l'Etat ?

Dans le même sens, le défunt président Houari Boumediene avait dit plus : « le peuple algérien, après une longue et âpre lutte sans égale à l'échelle continentale ainsi que des centaines de milliers de morts, n'avait pas hésité de mettre dans la balance un bulletin de vote d'un coté et son avenir dans l'autre. Pourquoi le Maroc, s'il est convaincu de sa cause, ne fait pas autant ». Nous étions dans les années 1970. Depuis, beaucoup d'eau, en termes d'événements et d'obscurs agiotages liés aux conjonctures géopolitiques, avait coulé sous les ponts.

En d'autres termes, ces calculs se sont dévoilés, en partie seulement, à ciel ouvert ces derniers temps, et ce, de part et d'autre. Et d'ailleurs ! Ainsi, une autre étape est en train de dessiner ses contours et perspectives. D'ores et déjà, l'Algérie, par la voix de son président, a assuré n'utiliser aucun moyen militaire contre les forces armées royales du pays frère. A moins d'un cas de force majeur bien évidemment, et ce, tout en sachant la concentration médiatique abondante que l'Algérie est en train d'étaler à l'excès. On dirait qu'il y a comme une intention de vouloir malmener, machiavéliquement, la monarchie marocaine. Quel est l'impact recherché ?

A quoi ça sert de faire tout ce tapage voire gavage médiatique, au plan interne, orchestré par les habituels appendices amarrés au système de gouvernance ? A moins d'anguille sous roche d'autant qu'a l'époque, du parti unique, des points de vue de quelques membres du conseil de la révolution divergeaient, à ce sujet, de ceux du défunt Président Houari Boumediene mis, sciemment, au devant de la scène politico médiatique avec tous ses coups bas en terme de dénigrements ciblés de la part du Maghzen alaouite.

A ce propos, nous rappelons la conversation du défunt, à quelques semaines avant sa terrible maladie, avec M. Belaid Abdssellam rapportant les propos du fils du peuple dans son livre intitulé les hasards de l'Histoire : « Pourquoi, le roi Hassan II avait-il insisté de me rencontrer cet automne - de 1978 -, sinon, avait-il ajouté, il ne me verra jamais. Que voulait-il insinuer par là ? ». Le roi Hassan II avait un ascendant sur des taupes, tapies au plus prés du Président algérien, l'informant au moindre détail sur la situation des arcanes du pouvoir algérien.

Tout au début du conflit, il avait prononcé un discours à l'intention des militants du FLN de la région ouest du pays ainsi qu'à la gouverne de quelques membres du conseil de la Révolution émettant des réserves sur la position du défunt Président disant : « Comment peut-on rester silencieux et insensible alors qu'il y a des gens de tous ages ? les sahraouis ? que l'armée marocaine est en train d'égorger chaque jour prés de nos frontières ? »

 Malgré tout, et depuis ce temps-là passé, la sagesse commande le règlement de ce problème sur des bases rationnelles bilatérales, entre le Maroc et l'Algérie, et ce, au vu de leurs multiples impacts, certes opposés, sur cette question ardue ; sinon la solution mériterait et qu'elle gagnerait de crédibilité si elle serait inscrite courageusement et pertinemment dans le cadre des instances de l'Union du Maghreb arabe. Enfin, à quoi sert-elle, donc, cette union si elle est incapable d'assainir un contentieux qui lui est spécifique, voire se trouvant au cœur de sa raison d'être ?

Hélas, là aussi, le défunt souverain Hassan II avait préféré la saborder en signant au mois de novembre - décidément -, 1995, un important accord de libre échange avec l'Union européenne. Il s'est éloigné encore plus de l'Afrique du tam-tam et d'une éventuelle solution pacifiée à l'échelle maghrébine sinon africaine. Que des fuites en avant. Et des occasions ratées !

En attendant, du mieux dans ce sens, de nouvelles insinuations tantôts prononcées clairement tantôts émis en sous-entendus pour dérouter ceux qui veulent en spéculer à défaut de les deviner, sont en train d'investir les champs politico médiatiques de part et d'autre. Pourtant, de nouvelles générations ont surgi, à l'échelle de tout le Maghreb, et abhorrent ce jeu à cache-cache et s'en foutent des projections d'avenir car ils ont d'autres soucis existentiels les tracassant maintenant.

A l'image des dernières mesures restrictives, élaborées par l'Espagne, à l'intention des jeunes travailleurs marocains. D'après les statistiques, peut-être sciemment gonflées, plus de 400 000 jeunes gens travaillant en Espagne, sont menacés par le chômage du fait d'une crise économique et financière frappant de plein fouet l'Espagne entre autres. Ajouter à cela, les remous allant crescendo dans les enclaves de Ceuta et Melilla. Une ancienne histoire liée, justement, a celle du Sahara occidental comme nous l'avons déjà signalé plus haut. D'où, les dernières déclarations musclées, et non moins dénuées d'insinuations, du jeune roi Mohamed VI à l'adresse de? l'Algérie, en premier lieu comme d'habitude, ainsi qu'a l'intention du comité international composé des USA, l'Angleterre, la France et l'Espagne bien évidemment.

D'autant que les frictions entre l'Algérie et la France, pour diverses raisons anciennes et actuelles, ne cessent de rebondirent ; et avec l'Espagne pour des vagues histoires de coopération économique et litiges énergétiques ; l'Angleterre à cause de ses liens historiques avec le Maroc et? l'indépendance de sa justice ; et, enfin, les USA voulant ménager la chèvre et le choux. Ajouter à cela, que les pays du Maghreb désirent se rapprocher, par manie atavique, en rangs dispersés de l'œil du cyclone dont la lutte contre le terrorisme subsaharien. Si comme c'est la seule menace, certes angoissante, qui pèse sur les peuples maghrébins. Alors que d'autres préoccupations lancinantes sont en train de ronger des existences notamment démunies et vulnérables.

Au Maroc, cette semaine, les services concernés ont annonce que plus de deux millions et demi de personnes sont indigentes et, qu'à cette occasion commémorative coïncidant avec le mois du ramadhan, les institutions gouvernementales viennent de lancer un programme d'aide alimentaire à leur profit. Pour l'Algérie et la Libye, grâce à leurs ressources issues de la vente des hydrocarbures, ils sont en train de se la couler «douce» dans l'insouciance masquant, cependant, les dures réalités vécues par des millions de personnes. Pour le moment, les chiffres? exultent ! La Tunisie, quant à elle, à du pain démocratique sur la planche. Dans un certain sens, il nourrit mieux les gens que la « farine de la zalabia ». La Mauritanie vivote. Les populations sahraouies sont, pour ainsi dire, dans une impasse en terme de résurrection.

A ce dernier sujet, justement, le défunt Malek Bennabi écrivait, dans son œuvre les conditions de la renaissance, ce qui suit : « Quant un peuple dispose de ces trois choses, son génie, de son temps, du tout petit bout de pain qui lui est nécessaire pour franchir la mauvaise passe de son destin ; et qu'il en à prise conscience en se réveillant, il tient assurément dans ses mains la clef de son avenir»

Le Maroc, vient de produire cette année, selon les statistiques, prés de 80 millions de quinteux de céréales soit une fois et demi que notre pays. Cette année, l'Algérie table sur 50 millions de quintaux, non encore totalement engrangés, et importe toujours son pain noir et blanc avant et après le moissonnage des blés. La Libye vit dans le farniente du désert et importe son alimentation, en monnaie sonnante et trébuchante, sans compter. La Tunisie s'auto suffit et exporte grâce à son savoir-faire et ses « emballages » des produits agricoles dont? la Deglet Nour algérienne labellisée chez elle puis réexpédiée en partie chez nous.

Sur un autre ordre d'idées, le gaz naturel algérien pourrait constituer un atout majeur pour l'intégration politico-économique maghrébine. Le Maroc vient, cette semaine, d'accorder une intention particulière au gaz algérien, et ce, grâce à sa sécurité établie et confirmée par les experts de l'office marocain des hydrocarbures. Il s'agit du propane. Le gazoduc se dirigeant vers l'Espagne ouvrira dés l'année prochaine, de nouvelles perspectives au Maroc notamment dans le domaine du fonctionnement de ses centrales électriques. La Tunisie bénéficie déjà, depuis 1983, de 5,3 % de celui menant vers le sud de l'Italie. Peut-être que les ressources fossiles parviendront, d'une certaine façon, à éclipser les malentendus que les volontés humaines actuelles n'ont pas pu les assainir.

Cependant, d'autres défis majeurs se profilent aux horizons des maghrébins. En effet, tout le Maghreb est menace par la recrudescence de la désertification touchant à différents degrés des millions d'hectares chaque année. En quelque sorte, un « terrorisme » de la nature engendré également par le genre humain. A l'image de celui déplaçant les populations, semant rapine et chantage, terreur et marchandage, mort et famine, dans les pays du sahel africain limitrophe à la région maghrébine voire se situant directement en face d'elle. En plus, les calamités naturelles : inondations, invasions de criquets, ensablement, sécheresse, etc. etc. ; ne cessent de s'accentuer dans ces contrées ou les zizanies se succèdent dans le temps et pour des espaces insuffisamment valorisés et harmonisés

Peut-être qu'un jour, nos «magasiniers» respectifs - par référence au grenier de Rome - qu'ils soient royalistes ou républicains auront la perspicacité de voir autrement la situation qu'ils ne la perçoivent actuellement et, qu'elle pourrait, à la longue, les mener à leurs pertes en tant que systèmes nationaux de gouvernance. Pourtant, pour l'éviter, il suffirait d'un peu du bon sens conjugué à de la clairvoyance afin de spécifier nettement les enjeux actuels et les perspectives d'avenir dans un monde en profonde mutation sur tous les plans. En tout cas, la majorité des citoyens maghrébins, notamment les jeunes, souhaitent que la raison l'emporterait sur l'obstination conjuguée aux frustrations d'un passé tourmenté et piètrement assumé à ce jour. Qui sait ? Un jour peut-être?!