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Obama, l'Amérique et l'islam

par Akram Belkaid: Paris

Ni les Etats-Unis, ni Barrack Obama ni même le monde musulman n'avaient besoin de cette polémique. C'est une évidence, le projet de construction d'une mosquée à proximité de « ground zero », c'est-à-dire le lieu où se dressaient les tours du World Trade Center à New York avant leur destruction lors des attentats du 11 septembre 2001, est une affaire qui risque d'avoir des répercussions importantes tant sur le plan politique intérieur américain que sur les relations entre Washington et le monde musulman.

Commençons d'abord par saluer le courage et la rectitude morale de deux hommes. Le premier est le président Obama. En estimant que rien ne s'oppose à la construction de cette mosquée, le dirigeant américain démontre qu'il peut faire passer ses convictions devant la stratégie politicienne de bas étage. Face à des républicains déchaînés, emmenés par la très fielleuse Sarah Palin qui entend bien se poser en chef de file de l'opposition, Obama sait aussi qu'il ne peut guère compter sur son propre camp. La perspective des élections de mi-mandat au mois de novembre prochain (renouvellement de toute la Chambre des représentants et d'un tiers du Sénat) explique pourquoi rares sont les personnalités démocrates qui sont montées au créneau pour le soutenir.

La seconde figure dont le nom est à inscrire au tableau d'honneur est celle de Michael Bloomberg, le maire de New York. Même s'il est moins concerné par les enjeux électoraux (son mandat actuel se termine en 2013), le fondateur de l'agence de presse éponyme, prend lui aussi des risques politiques importants dans une ville où le mot islam est souvent lié aux attentats du 11 septembre. Et le risque est d'autant plus grand qu'il n'aurait pas renoncé à briguer la présidence des Etats-Unis. Dans la perspective de ce scrutin toujours âprement disputées et où les coups bas sont légion, l'affaire de son soutien à la mosquée, sera à coup sûr un handicap pour lui.

Contrairement à ce que cherche à faire croire Palin et sa meute, Bloomberg et, surtout, Obama, n'agissent pas par sympathie pour l'islam. Tous deux avancent des arguments identiques pour justifier leur prise de position. Pour eux, il y a d'abord le fait que la liberté religieuse est l'un des fondements des Etats-Unis, un pays dont les premiers colons étaient justement des hommes et des femmes ayant fuit l'Europe en raison des persécutions religieuses. Dans le même temps, ils rappellent que l'administration n'a pas à intervenir dans cette affaire à moins d'enfreindre la règle de séparation entre l'Etat et la religion qui est, comme on l'oublie trop souvent en France, le pendant de la liberté de culte. Il s'agit de deux discours de raison, qui font honneur aux engagements des grands hommes de l'Amérique, notamment « les pères fondateurs » à l'origine de la rédaction de la Constitution étasunienne. On est loin des « sarkozeries » et des discours pestilentiels actuels d'une partie de la droite française. Dans la même veine, le contraste est par ailleurs saisissant entre les propos du duo Obama-Bloomberg et les vociférations de Sarah Palin qui a même, dernière crétinerie en date, appelés les new-yorkais à « réfudier » (refudiate) le projet de mosquée. Interpellée sur ce néologisme, l'ancien gouverneur de l'Alaska a répondu que Shakespeare aussi aimait jouer avec la langue anglaise? Mais passons.

Contrairement à nos indéboulonnables dictatures du monde arabo-musulman, les Etats-Unis ne peuvent se résumer à ce que pensent le président de cette démocratie ou bien encore le maire de la première ville de ce pays. Quelque soit l'idée que l'on se fait du projet de construction de cette mosquée et au-delà de ses propres convictions en matière de respect des libertés religieuses, il y a des éléments que l'on ne peut ignorer. Le plus important parmi eux est qu'une grande majorité d'Américains est opposée à l'idée de voir ériger un lieu de culte musulman à trois pâtés de maison de l'endroit où s'est déroulée une tragédie qui pèse aujourd'hui encore sur les affaires de notre monde.

De plus, les Républicains, quelques démocrates, et les éditorialistes de FoxNews, affirment que cette mosquée signifierait une victoire pour les extrémistes musulmans. Soyons sincères : ils n'ont pas tout à fait tort car il se trouvera bien quelqu'un, quelque part dans la blogosphère djihadiste, pour clamer que c'est une nouvelle étape dans l'islamisation des Etats-Unis. Même si ce projet est conduit par des Américains pour des pratiquants américains, il est donc évident que la symbolique de cette affaire dépasse de loin le périmètre new-yorkais. Bien entendu, l'opposition virulente des républicains démontre qu'il y a, dans leur esprit, des Américains qui le sont moins que d'autres ne serait-ce qu'en matière de droits religieux. De même, il ne servirait à rien de nier que les attentats du 11 septembre 2001 ont engendré au sein de la population un fort sentiment d'islamophobie qui persiste à ce jour.

Mais il faut prendre ce terme au sens littéral, c'est-à-dire une peur et non une haine de l'islam. Et cela aurait dû conduire les promoteurs du projet de mosquée à être plus prudents et à réfléchir à deux fois avant de se lancer dans cette aventure. C'est là tout le problème. Il y a des moments où le minimum de bon sens devrait obliger les musulmans d'Amérique du nord ou d'Europe, à agir avec plus de discernement et à tenir compte du sentiment de peur ? voire de répulsion ? qu'ils engendrent au sein d'une population qui n'est pas forcément raciste ou intrinsèquement anti-musulmane. Mais au lieu de rassurer ? ou même de séduire - certains musulmans préfèrent pourtant continuer à inquiéter, à semer le doute et, dans le même temps, à faire preuve d'un sens politique totalement limité.

Le problème, c'est que ce comportement prend en otage des millions d'individus. Il y a fort à parier que de nombreux américains de confession musulmane - qui se seraient tous sentis attaqués en cas de polémique à propos de la construction d'une mosquée n'importe où ailleurs aux Etats-Unis - sont gênés par ce projet new-yorkais, car conscients de ses implications politiques désastreuses. Toute la question est de savoir comment cette majorité va finir par reprendre le dessus et ne plus laisser son image et son avenir dépendre d'initiatives d'activistes, voire de provocateurs, inconséquents.