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De Villeneuve-Saint-Georges à Annaba

par Ahmed Saifi Benziane

" L'emblème national est vert et blanc frappé en son milieu d'une étoile et d'un croissant rouges (extrait de l'article 5 de la constitution) ".

La confusion des sens. Celle qui donne à réfléchir au message transmis à tout un pays par des émeutiers excédés par l'attente, brûlant un drapeau symbole de la nation. Ils commettent un acte répréhensible, condamnable, mais qui peut être traduit par l'assèchement de la mamelle nationale au moment où ils arrivent péniblement à y placer leurs bouches, par hasard. Au moment où ils arrivent à retrouver le sein patriotique à partir d'un ballon, avant de se rendre compte de la supercherie permanente. Les discours creux et insipides n'auront servi qu'à pousser vers l'inaccessible, par promesses non tenues, par mensonges, par production de la délinquance, d'abord et avant tout, au cœur même de l'Etat. Le drapeau algérien a été brûlé un 19 juin pour qui sait y lire une représentation et ce n'est pas la première fois que cela arrive.

Il est brûlé chaque jour qui passe et pas toujours par des émeutiers. Lorsqu'un programme présidentiel se traduit par plus d'importateurs et d'importations, raccourcissant de plus en plus des bras endoloris, qui ne demandent qu'à bouger, le drapeau algérien est brûlé. Lorsque à ce programme présidentiel conçu et réalisé comme une aumône au peuple, succède un autre programme plus important par la grâce d'un trou dans le sol sablonneux, sans bilans, sans rendre compte et que l'on continue à importer, en changeant juste de destination ; alors que la richesse dort au fond de nos têtes, il y a atteinte à l'emblème nationale. Lorsque la moyenne d'âge d'un gouvernement avoisine celle du défunt politburo de l'ex U.R.S.S., alors que de jeunes cadres partisans ou non éclatant d'énergie et de compétence, sont réduits à une retraite anticipée, il y a brûlure du drapeau national. Lorsqu'un pays que la nature a gâté en le dotant de tout et que ce tout se transforme en misère, en sécheresse, en prostitution, en mal vie et en harga, en violences, il est tout aussi brûlé ce drapeau national. Alors de grâce, que peut-on reprocher à ces jeunes banlieusards annabis de plus grave que la déconfiture d'un Etat qui se permet de les juger, alors qu'il devrait être au banc des accusés. Un Etat qui a pardonné en leur nom des crimes hautement plus graves. Qui peut aujourd'hui accuser l'autre ? Et au nom de quoi ? Dans l'un des classiques du cinéma hollywoodien, " Spartacus ", qui vient d'être rediffusé sur une chaîne française, on voit une scène des plus expressives. A la question de savoir s'il n'avait pas peur d'être écrasé par les légions romaines, Kirk Douglas dans le rôle principal répond à peu près ceci : " Quand un riche meurt, il perd les plaisirs de la vie ; quand un esclave meurt, il ne perd que sa misère. " Et face à la misère, un être normalement constitué ne peut que se révolter. C'est là l'enseignement de l'histoire de la guerre pour l'indépendance, dont les leçons ont été bien apprises. Il fallait alors l'écrire autrement ou s'arranger pour que le peuple soit le véritable héros ou encore expliquer pourquoi le politique n'a pas primé sur le militaire.

Quelle peut être alors la différence entre une émeute où l'on brûle le drapeau national et une autre où l'on brûle des pneus ou autres produits inflammables. Ce n'est ni la symbolique du drapeau ni sa représentation qui sont en cause. Ce même drapeau a fait récemment l'objet d'une polémique dans la paisible ville de Villeneuve-Saint-Georges où un jeune homme a enlevé le drapeau de la ville, du balcon de la mairie, pour le faire remplacer par le vert blanc rouge. De jeunes algériens mécontents brandissent le drapeau français en Algérie. Les uns et les autres sont condamnés et condamnables pour actes contraires à la loi. La loi, encore elle. Froide, incomprise, faite pour équilibrer les échecs sociaux, sujette à remise en cause, colmatant ce qui peut encore l'être. Ne condamnant que ceux qui se précipitent à commettre l'irréparable sans essayer de situer la place de l'œuf et de la poule dans un cycle de vie.

Laissant aux plus forts le soin de piétiner les valeurs, pendant que les affaiblis continuent le cycle de la mort. Et si on venait à comprendre le sens de ce geste d'enfants en pleine colère, s'en prenant à un morceau d'étoffe, dont se servent les puissants pour cacher la misère qu'ils ne sauraient voir, n'est-il pas plus juste de l'interpréter autrement ? Brûler un drapeau juste pour montrer ce qu'il cachait comme mensonges. Car lorsqu'il s'est agit d'aller combattre à Oum Dormane, drapeau en mains, ces mêmes émeutiers ne se sont pas fait attendre. Ils se le sont appropriés, se sont couvert le dos avec, ou en ont fait un vêtement de la tête aux pieds. Les mêmes responsables qui les ont poussé à l'émeute se contentaient quant à eux à suivre le combat dans les tribunes. Quelle attitude adopter alors devant un drapeau brûlé en dehors de toute hypocrisie en dehors des palais de justice et de jugements qui ne tiennent pas compte des conditions qui précèdent l'émeute et la colère grandissante ? Cette fois-ci un jeune policier se trouvait du bon côté, celui de son peuple.