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Au revoir ma chérie

par Ahmed Saifi Benziane

Ma chérie. En fin de compte, l'Afrique du Sud est un beau pays et les Blancs sont aussi sympathiques que Mandela. Les Noirs aussi. C'est un pays en noir et blanc et je t'assure qu'il n'y a pas plus d'agressions que chez nous, contrairement à la mauvaise publicité que fait la télévision française. Les Français sont des jaloux et s'accrochent à n'importe quoi pour critiquer les autres pays. D'ailleurs, n'ont-ils pas critiqué notre démocratie ? Cinq dans leurs yeux bleus. Il est vrai que des journalistes se sont fait attaquer d'après la presse mais, ici, les sanctions sont prononcées par de vrais juges. Les rues grouillent d'enfants qui respirent la vie malgré une misère relative, juste pour rappeler que nous sommes en Afrique, mais les vitrines sont propres et je viens de m'acheter une trompette comme tout le monde. Verte. Ma trompette est verte. L'hôtel où nous sommes est très bien tenu avec un hall en marbre blanc et des toilettes propres. Ici, toutes les toilettes sont propres.

 La chambre que j'occupe est suffisante pour une seule personne et donne sur un jardin avec de grands arbres et des fleurs. Hier, je me suis promené à travers les artères de la ville, un petit drapeau à la main et j'ai croisé beaucoup de gens qui ont reconnu notre emblème national. Ils m'ont demandé de leur parler de l'Algérie qu'ils voient avec beaucoup d'admiration. En anglais. Enfin, en anglais sud-africain. Je leur ai expliqué que Mandela avait séjourné chez nous avant qu'il ne s'engage dans la lutte contre l'Apartheid. Ils le savaient déjà parce qu'ils connaissent bien la biographie de leurs leaders. Parce que leurs leaders ont une biographie connue de tous depuis leurs naissances. Ils ne connaissent de notre pays que la capitale, Alger. Je leur ai parlé d'Oran, de Constantine, de Annaba et de Mascara en leur racontant quelques blagues bien de chez nous, pour éviter de parler de la politique. Ils m'ont quand même expliqué qu'ils ont réussi une vraie alternance à la présidence et que leurs partis d'opposition sont un véritable contre-pouvoir. Il y a une gauche, une droite et un centre comme en démocratie, et les Blancs peuvent être dans les trois courants politiques. Mais le plus important n'est pas là. L'important chez eux c'est que la réconciliation nationale était conditionnée par l'aveu des crimes par les criminels. Et ils ont tourné la page. Leur nouvelle page est blanche pour les Noirs et noire pour les Blancs.

 Mais personne n'en veut à l'autre pour son passé. Leur réconciliation ne laisse aucune trace de haine ni d'interrogations malsaines à propos de qui a tué qui. La preuve, c'est qu'ils sont capables d'organiser la manifestation sportive la plus attendue dans le monde. Sans faille. Ils ont construit de beaux ouvrages et des stades aussi grands qu'un village. Je ne sais pas où tu es allée chercher cette histoire de diamants pas chers mais je te jure que le coût de la vie est presque aussi élevé que chez nous. J'ai demandé à une fille qui travaille à l'hôtel, qui s'est proposée de m'accompagner au lieu, où se négocient les pierres précieuses. D'ailleurs, je n'ai plus d'argent. Les trompettes sont hors de prix et comme je ne savais pas utiliser l'argent sud-africain, je me suis fait avoir. Les Zoulous sont des gens bien. J'en ai rencontré avec leurs costumes traditionnels, des plumes partout, des colliers aux mille couleurs et tout et tout. Je te montrerai des photos, tu verras, ils sont magnifiques! Tu aurais pu m'accompagner mais cette histoire de vaccin non disponible chez nous a tout gâché. Heureusement que je suis arrivé à la dernière dose et je te jure que je n'en savais rien.

 On m?a promis de nous rembourser ton voyage une fois de retour. Nous pourrons alors partir en Tunisie. Ce n'est pas la même chose, je sais, mais c'est juste pour rester ensemble loin de ta mère. Et de la mienne. Ah oui, j'oubliais ! Dans l'avion qui nous transportait vers l'Afrique du Sud, j'ai rencontré notre voisine de palier avec son fils. Une fois dans les airs, elle a commencé à pousser des youyous tellement forts que le commandant de bord en a perdu les coordonnées. J'ai bien peur qu'au retour, les gens n'utilisent leurs trompettes dans l'avion.

 Les Sud-africains fabriquent des avions. Le pain chez eux n'a pas le même goût, ils doivent importer leurs céréales d'un autre pays que le nôtre. Ou alors ils les produisent localement. J'ai vu une mosquée très belle à l'autre bout de la ville. Leurs musulmans sont différents et leurs regards sont tendres. Ils lisent les versets avec un accent et j'ai trouvé que leurs prières sont plus courtes que les nôtres, probablement pour gagner du temps. Hier, j'ai aussi participé à un défilé des Algériens et nous avons chanté « yal khadra » dans tous les airs. La voisine était de la partie avec son sac de youyous de différentes poussées et son regard malicieux à chaque fois qu'elle me croise.

 Il y a même eu des gens d'ici qui se sont joints à nous. Les Slovènes, reconnaissables à leurs couleurs nationales et à leur teint, nous regardaient dubitatifs sur les trottoirs et il s'en trouvait même qui riaient, une canette de bière à la main. C'était excitant. Aujourd'hui, nous allons leur montrer de quoi nous sommes capables si toutefois Ghazzal, qui s'est labouré l'arrière de la tête, ne joue pas. Nos joueurs se sont teints les cheveux en blond, on dirait une vraie équipe de France. Zidane est là. Je te laisse à présent car je dois aller au stade avec ma trompette verte et la fille qui travaille à l'hôtel qui s'est proposée de m'accompagner. Si je ne t'écris pas c'est que nous allons bientôt rentrer mais je suis sûr que nous allons gagner au moins par un nul. Au revoir ma chérie.»