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Il était une fois le coup d'Etat du 19 Juin 1965

par Ali Brahimi

La fin de la première décade de juin de cette année avait coïncidé avec le coup d'envoi de la compétition en Coupe du Monde de football, éclipsant toute autre actualité.

Cependant, la majorité de la population nationale est polarisée, durant toute l'année, autour des préoccupations lancinantes ne cessant de s'accumuler au fil du temps. Et que ledit événement sportif, malgré le formidable engouement qu'il a suscité au sein de la jeunesse algérienne, ne représente en fin de compte qu'une goutte d'eau d'extase dans un océan de malheurs.

 Pour le reste, c'est-à-dire une minorité de gens soi-disant aisés et à l'abri des désagréments de la vie, leurs tracas sont de tout autre nature. A l'évidence, leurs soucis grouillent tout autrement, que ci-dessus, au niveau de leurs tempéraments. Et, à l'évidence, ces gens-là perçoivent différemment la victoire ou la défaite des Verts.

 En effet, cette frange particulière de la population oriente ses ambitions au gré des conjonctures et ne s'y intéresse qu'à l'orientation des événements. A l'image d'une girouette. A brève échéance, elle se concentrerait sur des schémas confortant sa position sociale et raffermissant ses intérêts, visibles et scellés à l'intérieur du système national de gouvernance lequel, pour sa part, se soucie beaucoup plus sur les événements conjoncturels ? décidément ? au lieu de ceux liés aux priorités et perspectives structurelles fondamentales dans le long terme.

 A ce dernier propos, nous citons, à titre indicatif : mettre en place un ensemble de mécanismes judicieux afin de changer, de fond en comble, les méthodes actuelles de gestion des ressources humaines et naturelles et des affaires de l'Etat et, surtout, d'éviter, autant que possible, les reniements des certitudes d'hier tout en sachant, à l'évidence, que nul n'est immuable. En revanche, le bon sens l'est !

 En attendant des jours meilleurs dans ce sens, des jeunes s'accrochent pathétiquement à toutes sortes de défoulements dont, justement, les hypothétiques victoires de l'Equipe Nationale du Football. Toutefois, cet enivrement collectif éphémère n'aboutirait qu'à des impasses sinon aux plaisirs à effet de feu de paille. Il n'en demeure pas moins que la majorité de la jeunesse espère se mettre en diapason avec le rythme de cette saison haute en couleur. Et de lorgner, avec autant d'espoirs dans les esprits, vers de meilleurs nouveaux horizons. En principe, c'est ça la nature profonde d'un jeune : rêver avant et réaliser ensuite !

 Malheureusement, une partie de la jeunesse se complaît allégrement dans l'ankylose et observe de moins en moins la beauté des choses qui nous entourent, sinon les interprètent faussement, encore moins qu'elle sache discerner, comme le savaient par coeur ses aînés, le début, la fin et la durée des saisons, les qualificatifs et les genres des importants facteurs climatiques correspondants, favorables et défavorables, sur les tempéraments des êtres vivants, etc.

 Tout un savoir ancestral parti en fumée. En effet, nous vivons une période caractérisée par les oublis des nobles principes, d'une vie en harmonie avec le chevauchement des saisons, remplacés par ceux nous compliquant l'existence et, par conséquent, à la merci des caprices du climat et des catastrophes naturelles. A l'image de celles des dernières tornades orageuses dans les wilayas du Sud-est du pays provoquant d'importants dégâts souvent conjugués aux étourderies du genre humain de plus en plus disposé à la défiguration de son milieu physique, à la vie facile, la vanité, les fuites en avant, etc.

 En revanche, nous observons, de temps à autre, des enfants et des jeunes gens en train d'effectuer des randonnées, pour ceux possédant les moyens de faire ces excursions, dans les différents milieux naturels terrestres et marins. Ils apprennent, indéniablement, beaucoup de choses intéressantes sur leur environnement. Malheureusement, d'autres enfants sont dans d'autres galères les étouffant. D'après les chiffres annoncés, cette semaine, par des institutions internationales, dans le domaine, il existe plus de 100 millions d'enfants qui travaillent péniblement et autant vivotent en livrant leurs corps aux vampirismes ignominieux, au lieu qu'ils aillent s'instruire dans les sanctuaires du savoir. Puisque leurs familles vivent dans l'extrême pauvreté, cette jeunesse démunie la décompense par différentes drogues et sensations fortes dont le? football - devenu un motif de défoulement collectif dans l'hémisphère Sud.

 Dans l'hémisphère Nord, le solstice d'été correspond au 21ou 22 juin. Sous nos latitudes, il tomberait une semaine avant et se retarde autant en fin de l'été. En d'autres termes, le climat enfonce les populations de ces contrées, plus que celles du Nord, dans les aléas du changement climatique. Tous les gens de bonne volonté l'ont dit, le répètent à chaque occasion, sans qu'ils s'en lassent et encore moins qu'ils ont froid aux yeux ou de ménager quiconque sur ses agissements, notamment vis-à-vis de l'enfance en proie à toutes les mystifications soustractives à l'infini.

 Dans l'un de nos articles intitulé : «Juin, le mois des soustractions», paru au Quotidien d'Oran du 17 juin 2007, nous avons mis en exergue son importance au plan du bilan, à mi-parcours des différentes actions programmées par les institutions, en cette fin de période semestrielle.

Toutefois, ce qui nous semblerait utile de rappeler, toujours d'actualité à certains égards, c'est les coïncidences, d'hier et d'aujourd'hui, en termes de similitudes bizarres et surprenantes, voire suspectes. Les découragements, conjugués aux mensonges, sont susceptibles de provoquer les pires frictions et, donc, les brutaux divorces entre gouvernants et gouvernés, entre les membres d'une famille? !

Commençons par le commencement, et sur un tout autre plan, toutefois intimement lié à ci-dessus et ci dessous:

JUIN 1962, LE MOIS DES MIRACLES ET DES MIRAGES

«Lors de cette période charnière du 1er Janvier - 5 juillet 1962, des Algériens et Algériennes ont pu sauvegarder les acquis moraux et matériels de la victoire contre l'OAS ? Organisation armée secrète ? de la soi-disant Algérie française, et les «marsiens» : combattants zélés de dernière heure. Des milliers ont eu le privilège d'accéder au sacrifice suprême pour l'avoir fait. D'autres patriotes sont en train de disparaître jour après jour. En silence ! Qu'ils soient tous bénis.

 Ce dont il s'agit dans cette «saga» est de tout autre nature. Une fortuite de notre Histoire. Une de plus ! Le produit d'une montagne et d'une souris : un hybride monstrueux. Lui-même n'a jamais su d'où il est issu ni comment il fut élevé, encore moins comment il est parvenu à ce niveau. Par contre, il sait bien le rôle de sa mission. Ce fut l'un des initiateurs du «syndrome marsien» dans notre région, lequel s'est propagé à l'identique, avec des nuances dans d'autres lieux du pays. Bizarre ! Du vide dû à la conjoncture particulière de cette période d'anarchie sciemment entretenue par «Je leur souhaite d'avoir du bon plaisir» ainsi formulé par le Général De Gaulle ? surnommé la grande Zohra ?, entre autres bons souhaits.

Cet hybride auxiliaire ainsi inspiré avait eu l'idée diabolique d'organiser, en pleine canicule, un rassemblement de toute la population de ma ville pour aller voir un groupe de soi-disant combattants défiler. A 15 km du patelin ! Ce fut comme dans un film hollywoodien. Inouï ! Femmes, hommes, enfants, vieux, malades, aveugles, débiles?7 000, 10 000 personnes ? Allez savoir. Une marée humaine comme hypnotisée, à pied, en véhicules, charrettes, ?Ahurissant !

Sous un soleil de plomb, un immense cercle humain s'est formé autour de l'arène.

Comme s'ils attendaient que des hommes hors du commun allaient surgir. Abasourdis par les cris des organisateurs zélés et d'enregistrements rayés de chants patriotiques amplifiés par de haut-parleurs de crieurs publics assourdissant les spectateurs ainsi parqués comme du bétail. Les hommes se disputaient les «premières loges», les enfants pleuraient, des femmes enceintes gémissaient et s'évanouirent. Aucune assistance appropriée. Un aveugle âgé, comme s'il était dans un autre monde, répétait sans cesse : Merci Seigneur, même aveugle, mon cœur les sentirait. Plus qu'émouvant. Indescriptible !

Enfin, après une éternité et telle une délivrance, une vingtaine d'individus pénètrent dans cette cour des miracles. En tenue kaki et ayant l'air débraillé, avec des armes hétéroclites, en rangs désordonnés, ce groupe se brinqueballait devant cette foule entassée à l'image d'un bétail. Des youyous fusaient. Des flacons de parfums aspergeaient la cohorte survoltée. Puis un impressionnant branle-bas du retour désordonné. Avec tous les risques !

Après donc ce grand carnaval humiliant, tout ce beau monde en sueur, bronzé, enfariné dans la poussière, assoiffé, affamé, dépouillé de son argent, ses bijoux, désacralisé par la force des nouvelles réalités amères, dépité en profondeur de son âme, reprenait le chemin du retour. Hagard ! Une image de fin de monde. A l'image d'une fresque apocalyptique. Notre hybride avait bien réussi sa promesse. En long et en large, en genre et en nombre. Misérable est cette journée de juin 1962 pour ceux qui ont eu la poisse de l'avoir supportée. Un calvaire qui a marqué profondément l'imaginaire collectif local. Indélébile !

Au cours de cette même période, un autre marsien, ne sachant ni lire ni écrire, est devenu chef de chantier des travaux publics. Un jour, il fait établir, par un écrivain public, une liste d'ouvriers sur une feuille? volante et se dirigea tout droit vers le receveur des contributions diverses. Il demanda à ce dernier de lui remettre le salaire de ses ouvriers. Ledit fonctionnaire demanda les autres documents comptables réglementaires. Marsien lui promit qu'il les aurait par la suite. Il empocha l'argent et ne fournira aucun autre document. Et bien sûr le trou sera comblé par trois fois. Ce fut, en quelque sorte, le promoteur, voire le père spirituel de la lignée des Khalifa ramasseurs du Trésor public.

Un autre jour de juin 1962, devant la place centrale de notre patelin, toujours pleine par des gens de tous âges, en ces moments féeriques, un avion de l'armée française survolait l'esplanade. Alors, un autre «extraterrestre», dans le but d'impressionner l'assistance, interpelle son secrétaire et il lui dit expressément, devant la population en attente du sensationnel : «Prends vite le numéro de cet avion, nous le réquisitionnons. Des signes avant-coureurs d'autres Khalifa !». Fin de l'extrait.

19 JUIN 1965 RENIÉ PAR LES UNS ALORS QU'IL EST HONORÉ PAR LES AUTRES

45 ans déjà depuis le énième coup d'Etat en terre d'Algérie. En effet, d'autres ont été effectués par le passé et même après le 19 juin 1965, incriminé de tous les maux y compris de ratage de la vie personnelle, aujourd'hui oublié, voire renié par ses fervents défenseurs d'hier. A chaque fois, l'on trouve des qualificatifs édulcorés à ces complots : Messaliste, Centraliste, Activiste, FLNiste, primauté de l'Intérieur sur l'Extérieur, Gouvernementaliste, Réajustement, Redressement et? ? A trop d'utilisation d'euphémismes, l'on chavire dans les concepts saugrenus. Ainsi, tous nos coups d'Etat et nos déboires à l'occasion sont enrobés par des terminologies tantôt adoucissantes tantôt du tape-à-l'œil.

 En dépit de tout, le 19 Juin 1965 reste un jalon, parmi d'autres, du genre, et qu'il avait pour ambition tout à fait justifiée afin de relancer une certaine idée de la Révolution, telle que qualifiée et perçue à l'époque, et ce pour construire l'Etat algérien. Le défunt Ahmed Medeghri, l'un des activistes du coup d'Etat du 19 Juin, est considère comme le bâtisseur des collectivités locales estimées, à juste titre, comme les bases d'un Etat moderne décentralisé. Quoi qu'on dise de ses impairs et impacts ainsi que de ses répercussions ou qu'il soit incriminé de torts et malchances, strictement engendrés par des déboires et comportements d'ordre personnel, il n'en demeure pas moins que ses suites ont engendré des espoirs immenses et des acquis considérables pour des générations de cadres dont plusieurs constituent une fierté pour le pays

Le 19 Juin 1965 est intervenu dans un contexte particulier. La majorité de ses principaux auteurs n'est plus de ce monde. Quelques mohicans sont encore en vie. Parmi eux, il y a ceux qui regrettent d'y avoir participé et l'affichent ouvertement en maintes occasions sciemment médiatisées. C'est comme s'ils avaient un compte personnel à régler avec le défunt Houari Boumediene. Alors qu'il n'avait à rien à faire dans leurs déceptions puisque elles sont intervenues après sa disparition. Donc, c'est à eux-mêmes qu'ils doivent s'en prendre. Dans tous les cas de figure, ils en souffrent et pâtiront encore post mortem !

Le défunt Tayebi Larbi, disparu peu après la mort du premier chef de l'ANP, était un fidèle ami convaincu du défunt Président du Conseil de la révolution. Il avait baptisé, en juin 1976, l'ex ITA - Institut de Technologie Agricole du 19 juin 1965 ? de Mostaganem. Le prétendu héritier désigné en 1977 comme annoncé par le soi-disant mandaté, dans les années 1980, dans le seul but de faire agacer à qui de droit, avait humilié le sage Tayebi Larbi en l'accusant exagérément d'avoir détourné de l'argent pour faire construire une? mosquée dans ledit patelin de l'ex-ministre de l'Agriculture lequel, lors du coup d'Etat du 19 Juin 1965, se trouvait dans l'ascenseur du siège de la Wilaya d'Oran, bloqué toute la nuit du renversement du premier Président de l'Algérie indépendante. Ainsi suspendu dans l'ascenseur en panne, il ne savait rien de ce qui était advenu du putsch.

Depuis, il fut atteint de claustrophobie ? la peur de l'étouffement ? qu'il traînera en souffrance jusqu'à sa mort. Ainsi, son destin personnel lui aurait permis de ne renier aucun de ses actes ni incriminer quiconque à sa place. C'est ce qu'on désigne par : se sentir en diapason avec sa conscience.

En fin de compte, la faute à Juin ou à la bêtise humaine ? Juin n'est qu'un moment de l'année, parmi d'autres, dans la vie d'un être, d'un pays? d'un coup d'Etat. Par contre, la bêtise humaine c'est une autre Histoire !!!