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Football professionnel : l'aventure mal engagée

par Abed Charef

Le passage au professionnalisme est un progrès pour le football algérien. Mais l'aventure est mal entamée, avec des dirigeants qui ne sont même pas amateurs.

SPA ou SARL ? Le débat fait rage au sein des équipes de première divi-sion pour savoir ce que sera leur statut avec le passage au professionnalisme. Les débats sont tout aussi vifs lorsqu'il s'agit de savoir comment partager, ou se partager les actions : la plupart des dirigeants qui se sont exprimés affirment leur volonté de devenir actionnaires, certains aspirant même à devenir majoritaires, et tous promettent un avenir grandiose aux joueurs et une pluie de titre aux supporters. Un dirigeant a même annoncé qu'il voulait transformer son équipe en EURL, pour en être le propriétaire exclusif. C'est dire où se situe le niveau de la réflexion entourant le passage au professionnalisme, depuis que le ministre des Sports, M. Hachemi Djiar, en a fait l'annonce il y a un mois. Car pour ce monde qui gravite autour du football, il y a deux préoccupations majeures : qui aura le pouvoir au sein de ces équipes professionnelles, et qui détiendra l'argent que cette manne va générer. Les appétits ont été attisés par l'annonce d'un prêt bonifié de dix milliards, qui serait accordé à chaque équipe. Pour nombre de dirigeants, il s'agit là d'argent à dépenser, sans jamais avoir à le rembourser. Un crédit à taux bonifié garanti par l'état ressemble, pour eux, à une simple subvention. Peu de dirigeants parlent d'équilibre budgétaire, d'investissements, et ceux qui ont une véritable vision d'entreprise se comptent sur les doigts d'une seule main. Car pour le plus grand nombre, une équipe de football est d'abord un entonnoir à subventions. Ils pensent d'abord à dépenser, étant entendu qu'il appartient aux « autorités locales » de trouver l'argent.

 Les équipes de football constituent aussi de parfaits tremplins pour accéder au bureau du wali, du ministre ou du PDG, et donc d'accéder aux privilèges. Ce qui provoque une course effrénée vers les postes ouvrant les portes de l'administration, et explique pourquoi tant de personnes se bousculent devenir dirigeant. C'est dans cet état d'esprit que se multiplient les assemblées générales sensées préparer le passage au professionnalisme. Dans ces forums, on parle de statuts, de partage de parts et de milliards, alors que des joueurs n'ont pas encaissé leur prime de signature pour la saison écoulée.Par moments, les assemblées basculent dans le folklore, avec des dirigeants qui promettent des milliards alors qu'ils n'ont pas le sou. Un ancien dirigeant d'un club du centre a proposé, dans une série d'interviews et de déclarations publiées par la presse, que son équipe soit transformée en SARL avec un capital de 500 millions de dinars (50 milliards). Il a demandé que la moitié du capital lui soit réservée. Mais le jour de l'assemblée générale, il s'est fait porter malade...

 Pouvait-il en être autrement ? Le doute est permis. La gestion saine d'une entreprise exige certaines règles qui font aujourd'hui défaut. La gestion d'une équipe de football est encore plus complexe, car elle comporte un côté aléatoire : rien ne garantit les résultats, et quand ceux-ci font défaut, tout risque de basculer: pas de recettes, instabilité, etc. A tout cela s'ajoute une spécificité algérienne, avec un penchant très fort à tout détruire. La situation dans laquelle se débat le nouveau champion d'Algérie, le Mouloudia d'Alger, le montre clairement. Alors que l'équipe vient de remporter le championnat, un dirigeant, M. Abdelhamid Zedek, a tenté d'investir le siège du club, en affirmant qu'il est le président légalement élu, et que la justice lui a donné raison. Vrai ? Faux ? Si cela s'avérait vrai, cela signifierait que tous les documents signés par le président en exercice, M. Sadek Amrous, seraient des faux. Cette même équipe a également subi l'action en justice d'un ancien joueur, qui n'avait pas touché ses droits. L'action a abouti au gel du compte bancaire du club, avec le risque de paralysie qui en découle.

 Dans ce climat, l'idée de professionnalisme, parfaitement défendable quand on sait l'ampleur des flux financiers que charrie le football, risque d'être dévoyée, comme le furent les partis, les associations et d'autres concepts modernes. Pour le ministère, il semble urgent de rectifier le tir, pour fixer un cap, des échéances, établir des règles du jeu, et mettre fin à un mode de gestion qui a montré ses limites, tout en poussant progressivement vers la porte de sortie ses partisans les plus connus. Rectifier le tir signifie pour le ministère imposer de nouvelles règles du débat. En poussant les dirigeants non à faire de la surenchère ou à s'engager dans des polémiques inutiles, mais à apprendre ce qu'est une entreprise, à engager des négociations avec des sponsors, à établir des budgets prévisionnels et à encadre les clubs comme de véritables entreprises. Et à faire en sorte que les clubs puissent approcher de l'équilibre financier, tout en revenant aux seules valeurs viables, celles du travail, de l'effort et de la transparence. Car avant de devenir professionnel, il faut avoir été amateur. Au sens noble du mot. Une qualité que ne peut revendiquer aucun dirigeant qui a arrangé un match.