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Ces hères qui déambulent dans l'errance

par Farouk Zahi

Il n'est pas une ville ou un village qui ne voit pas déambuler, à longueur de journée, ces êtres déchus socialement.

Ils investissent de jour comme de nuit, les espaces publics comme pour narguer notre confort. Ils ont dus être, comme vous et moi, probablement heureux à un moment donné de leur vie. L'air hagard, loqueteux, repoussants de saleté et parfois à demi nus, ils évoluent dans les espaces de notre opulence. Hier, ils représentaient des voix alimentant les suffrages ; plus maintenant, ils « déshonorent » la cité par leur répugnance. Leur agressivité visuelle est insoutenable. On les toise et on s'en détourne rapidement. En dépit de leur regard éteint, presque indifférent, ils scrutent nos âmes. Rendu mal à l'aise, on les dépasse vite, la démarche raide et le pas preste. En voiture, on exprime une certaine impatience quand ils gênent notre parcours ; on les contourne en marmonnant. Ils sont cependant, transparents à l'objectif de la caméra télévisuelle, aux organismes humanitaires, aux congrégations et aux partis. Simples d'esprit au départ, ils sont devenus des esprits par leur immatérialité, l'acte solidaire ne peut s'en saisir. Irrécupérables, ils feront partie des « chutes » de l'ouvrage social avec lesquels on ne peut rien faire, si ce n'est de les jeter au rebut ou à la décharge mémorielle. En théorie institutionnelle, leur prise en charge alterne entre la Collectivité nationale et la Collectivité locale ; en pratique, ils se retrouvent dans le ruisseau. Ils feront l'objet, de temps à autre, de campagnes d'assainissement par le ramassage collectif afin de les escamoter, à l'œil officiel en visite d'inspection et de travail. Les louables efforts des quelques Samu sociaux ne suffiront pas à éponger le déficit en prise en charge idoine. L'immense réseau associatif religieux encore immature pour la charité humaine, tente de restituer les fastes ornementaux des khalifats à des Mossalate utilisées, à peine deux ou trois heures par 24 heures.

 Aucune dépendance pour assurer le gîte à la déshérence humaine. Le Croissant rouge, sorti à peine d'une fièvre éruptive, se reconstitue. Il y pensera, un jour peut être !

 Les services de santé, encombrés à souhait, arrivent laborieusement à s'en sortir avec toutes sortes de calamités surajoutées (accidents de la circulation automobile- épidémies saisonnières- violences polyformes).  L'hygiène mentale et la post cure, ne sont pas pour demain ; elles sont, ailleurs, le fait de la modernité sociétale. La problématique est en amont, l'aval n'est que le sommet visible de l'iceberg. Si complexe, pour pouvoir être contenue dans des limites raisonnables, sa résolution ne peut être que globale et intégrée. Elle interpelle toute la composante nationale. La déstructuration de la société traditionnelle, a porté un sacré coup aux simplets qu'on appelait : bahloul, bouhali et autre dérouich. L'idiot du village, personnage central, était pris en charge par la communauté villageoise. La déchéance généalogique ayant eu raison de la solidarité clanique (honneur de la tribu), a vite fait de « défenestrer » la tare parentale ou filiale. Il est bien loin le temps de la « Hchouma », on s'accommode de la mise à l'index ; çà peut arriver à tout le monde ! Le pouvoir d'achat des uns, représentés par la majorité, pressuré par l'anomie économique et l'avidité éhontée du lucre facile des autres, ont mis bas les masques. Les premiers peuvent geindre à l'infini, les seconds plastronner à l'étouffement ; plus rien ne viendra mettre de l'ordre dans le magma nauséabond. Tout le monde, a perdu son sens olfactif. L'errance est dramatique, elle fait choir les fortifications socio familiales les mieux assises. Elle semble guetter ses victimes au moindre trébuchement, gare aux plus faibles économiquement. Ils n'auront droit à aucune grâce, encore moins de la part de leurs congénères immédiats. Et si le sort en est jeté, ils l'assumeront seuls ; l'isolement sidéral ne fera parvenir aucun bruissement. L'autisme, d'habitude congénital, a muté en autisme acquis et ambiant. On n'aime pas se voir dans son propre miroir ; le reflet est impitoyable. A la recherche instinctive de havre de quiétude, ces damnés éviteront la périphérie urbaine où les nuées d'enfants et les meutes de chiens maraudant, leur sont potentiellement nuisants.

 Il est pour le moins curieux que de tous les passants, la gente canine en fait sa cible privilégiée. Et c'est certainement pour ces multiples raisons que l'on retrouve, ces épaves humaines dans le centre ville où la vie est plus animée. On peut s'assurer le gîte des arcades ou des portiques et la subsistance que pourraient prodiguer, des âmes charitables au sortir de restaurants ou de cafétérias.

 La détresse, n'est plus d'exclusive individuelle en situation de précarité, elle touche présentement d'autres strates nouvellement recrutées. Il n'est pas rare de rencontrer des couples et même des familles entières, sur la dalle du désarroi. La globalisation économique a bon dos, on y inscrira toutes les tares d'une société qui tournoie si vite et qui par effet de centrifugation, se débarrasse des impuretés qui polluent le moût. Qui peut bien mener toute une famille à la dèche ? La perte de revenus ne peut justifier, à elle seule, la perdition ; d'autres facteurs défavorables ont, sans doute, concouru à la déveine. Un vieil adage populaire, dit non sans bon sens : « Dari Testar Aâri » (Ma demeure élude ma tare). C'est indubitablement, la perte du toit familial qui participe le plus, à la dégringolade sociale. Le foyer familial, citadelle de la dignité, soumis à la désintégration met à nu la désespérance, jusque là, cachée par son enceinte opaque.

 De là, débute la descente aux enfers. Les membres les plus touchés, en dépit de leur apparente insouciance, en sont les enfants. Pourront-ils mener une vie normale, aller à l'école comme tous les enfants de leur âge et soutenir leur regard interrogateur ? Rien, n'est moins sûr !

 Auront-ils droit à la protection sanitaire en matière de vaccination et de surveillance médicale ? La rue, ouverte sur toutes les déviances, sera leur seul univers. Il se trouve malheureusement, de froides dispositions judiciaires, faisant force de loi, qui livrent de pleines couvées d'enfants à la rue, compte non tenu de leur vulnérabilité. Il s'est même trouvé, un département ministériel ès Solidarité qui a fait usage de cette procédure pour déloger des indus occupants. La posture du maire qui ne réagit pas à la détresse d'un seul de ses administrés, ne peut être qu'immorale.

 Et s'il tel était le cas, celle-ci devrait le contraindre à remettre le tablier, L'attitude contemplative, ne peut être assimilée qu'à non assistance à personne en danger moral pour ne pas dire mortel. N'y -a-t- il pas eu des précédents de tentative d'immolation collective par le feu ?