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Aïcha la pleureuse

par Abdou B.

«Ceux qui méprisent l'homme ne sont pas de grands hommes»Vauvenargues

Petit à petit, cela devient un trait de caractère, une «constante» ou, comme dirait les sociologues, un invariant national. A propos de sport, de diplomatie, de relations d'Etat à Etat, de commerce, la réaction est la même. Du sommet à la base, dans la presse, les cafés, les ministères, se sentir victime de «complots ourdis», de jalousies confuses, «incompris» malgré la pureté des intentions, c'est la tendance lourde qui couvre le paysage national. Nous sommes des gentils, des braves au fair play flamboyant, d'honnêtes êtres humains à 100%, ne trichant jamais en politique, dans le commerce dans nos relations avec les autres, mais sommes toujours victimes.      Beaucoup ne nous aiment pas, nous sabotent, n'apprécient nullement nos qualités énormes, notre générosité, notre soutien pour les justes causes même si elles datent et ne concernent plus que le troisième âge etc.etc.           Uniques au monde, notre système politique, notre démocratie d'avant-garde, notre liberté d'expression sont régulièrement brocardés par de haineuses ONG, une presse rancunière (nationale et internationale), sûrement au service d'intérêts étrangers et de services top secrets. De supposés pays «frères» et amis nous poignardent dans le dos dans tous les domaines. Nous acceptons tout par bonté ou masochisme.

 Le grand «frère» égyptien nous humilie par deux fois, en gagnant la Coupe d'Afrique de foot et en achetant les arbitres pour le hand. Mais qui a décrété qu'il y avait des pays amis en pleine crise économique dans une mondialisation où seuls les intérêts (y compris entre frères biologiques) priment sur tout le reste ? L'Egypte est plus proche d'Israël qu'avec tous les pays arabes car l'arabité à 200%, métissée, virtuelle ou réelle, ne peut jamais remplacer des subventions américaines et le soutien d'Israël. Alors, nous n'agissons pas, nous réagissons, mollement, dans la langue de bois et restons diplomates avec l'Egypte. Une hypothèse : les relations diplomatiques sont coupées brutalement avec l'Egypte. Il n'y aura aucune conséquence économique pour l'Algérie et le bon peuple, chauffé par la presse et certains ministres légèrement handicapés du bulbe ou dopés à la prédation, fera la fête avec moult drapeaux et chants patriotiques.

 Mais la posture de victime semble plus rentable. Pour qui ? Et si l'Algérie rencontrait l'Egypte au cours d'un tournoi de jeu de dames et achète l'arbitrage ? Ce ne sera qu'un énième feuilleton arabo-arabe de série Z.

 L'affaire Sonatrach semble se calmer, comme celle de l'autoroute à points cardinaux, barrées par les augmentations de salaires des enseignants et les grèves dans les hôpitaux. Mais est-ce suffisant ? Non. Avec l'aide du camarade Kouchner, on essaie laborieusement de refaire la guerre d'indépendance, dans ces bureaux où le chauffage marche (contrairement à beaucoup d'écoles), dans des réunions durant lesquelles on mine le valeureux combat de ceux qui ne sont plus de ce monde. Une guerre terrible gagnée sur le terrain, au bout de sept années de souffrances et de sacrifices inouïs, est devenue un petit commerce pour des «politiques» sans idée, sans programme, et surtout sans avoir jamais tenu une arme ni connu les affres de la torture, du froid dans les maquis et la trouille sous les bombes et le napalm. Les activités commises par la France officielle et coloniale sont bel et bien écrites par des historiens. Pour toujours. Les Français qui étaient entre 1954 et 1962 plus ALN et FLN que certains rentiers de 2010 sont eux aussi dans notre mémoire et les livres d'histoire. Alors que ceux qui se plaisent dans des rôles de victimes, espérant une repentance ou des excuses de la droite française en 2010, le fassent en leur nom, pour leur carrière ou la «consommation interne» qui n'intéresse que peu d'Algériens en dehors d'individus et d'appareils qui n'arrivent pas à asseoir une légitimité en suçant sans vergogne une symbolique et un héritage pour lesquels ils n'ont été d'aucune contribution. Ce combat d'arrière-garde, comme l'a souligné M. Ould Kablia, n'est digne que du 19 mars.

 Victimisation, instrumentalisation des émigrés, prédation inimaginable, la dominante reste la pratique de «Aïcha la pleureuse». Dès la prime enfance, nous entendions les personnes adultes et âgées parler de cette Aïcha. Personnage virtuelle, cette femme n'avait pas d'âge, pas de signe caractéristique, pas de profession et encore moins un domicile où on pouvait la voir.          «Aïcha la pleureuse» symbolisait tout simplement un trait de caractère, celui d'une personne velléitaire, inapte à la décision et à l'action qui passe son temps à geindre, à pleurnicher, à se plaindre de tout et de tous, à se présenter comme une victime innocente, donc à plaindre. Ces caractéristiques sont présentées dans les discours de beaucoup de dirigeants arabes qui font mine de ne pas comprendre qu'Israël, par exemple, peut tout faire sans aucune condamnation. D'autres (des dirigeants) expliquent et justifient l'incurie de leur gouvernance par «les restes du colonialisme», par «les complots du parti de la France», les manigances des «Laïcs et des Athées» (en vrac) des francophones, des adeptes du raï, du rock, de la dive bouteille sinon des partisans de la sauvegarde de l'escargot espagnol. «Aïcha la pleureuse» est un personnage, un tic et une «constante» partagés largement dans le monde arabe, en son sein et vis-à-vis de l'étranger. La dame fait florès en Algérie, surtout chez les dirigeants de sexe masculin, impuissants devant le travail et l'innovation de leurs «ennemis» qui ne font que défendre les intérêts de leur pays et leur peuple. Sans se gargariser de «fraternité» ou «d'amitié» là où il n'y a que des marchés à conquérir, des cultures à dominer, des peuples à domestiquer et des médias libres par dizaines.

 Peut-être qu'un jour viendront des hommes jeunes, ambitieux pour l'Algérie qui dépasseront par les actes l'hégémonie sur la CAF et le CAHB, la Ligue arabe et l'ONU, et faire oublier l'antécédent retentissant d'un certain «Hagrouna !». Et Aïcha la pleureuse ne sera plus le personnage le plus joué du répertoire national.