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Du syndrome du «zaimisme» chez des intellectuels du monde arabe

par Mohamed Ghriss*

3ème partie

Ceci sans que jamais puisse s'esquisser le moindre espoir d'une jonction entre ces diverses catégories disséminées? On déplore souvent le manque de communications entre intellectuels, certes, mais dans les conditions perpétuelles de cette léthargie qui persiste, qui tendraient les passerelles de la communication, de la concertation et des retrouvailles entre les fans d'idées au grand bénéfice de dame culture ?

 Pas ceux qui ont intérêt à ce que l'incommunicabilité multisectorielle persiste, en tout cas ! Mais il ne convient, certainement pas de continuer à dormir sur ses lauriers, et d'attendre à ce qu'un hypothétique concours de circonstances favorables puisse se manifester (cette version moderne du Mehdi sauveur) pour pouvoir commencer à animer la vie associative de quartier, des cités, des inter-villes, etc.

 Les aînés, qui avec des possibilités extrêmement réduites, (et sous le joug colonial en plus) ont réussi à faire émerger et développer toute une dynamique culturelle et éducative multilingue et multidimensionnelle, par le passé, ne représentent-ils pas un exemple édifiant à méditer ?

Ceci pour dire que le «citoyen» du monde arabe n'est pas dénué de qualités intrinsèques indéniables mais que de multiples facteurs destructeurs et aliénants, ont concouru, - tout au long d'une pénible histoire et jusqu'aux lendemains même des indépendances qui déchantent -, à restreindre le champ d'activité créatrice.

 Il en est réduit aujourd'hui ( l'intellectuel honnête marginalisé plus particulièrement) à une position de démission ou d'attente, ployant sous le poids des contraintes, ou habitué qu'il a été à cette mentalité d'assisté funeste, quand il n'émigre pas ailleurs, bien malgré lui, sous des cieux plus cléments: d'ou ce perpétuement d'immobilisme, de manque flagrant de concertations, ou d'entame d'initiatives culturelles, de dialogue, de quête de cohésion, en vue de programmes nationaux engageant l'avenir du pays débattus en commun, etc., ou et de remises en questions salutaires , lorsqu'elles sont, notamment, entreprises par les esprits animés de bonne volonté.

 Une bonne volonté, signalons -le au passage, - dont ont fait souvent preuve certains intellectuels consciencieux, malgré que parmi eux se comptent ceux qui se débattent dans de pénibles situations sociales, entre autres la marginalité, le déni des droits, etc. Cela ne les a pas, pour autant, découragés pour répondre présents aux initiatives des gens bien intentionnées, qui Dieu merci, existent toujours de par le monde arabe. Mais aussi, parce qu'il faudrait bien qu'un jour, évidemment, tous puissent se retrouver dans leurs pays, la main dans la main, débattant pacifiquement et démocratiquement, s'ils entreprennent de contribuer résolument et majoritairement à la mise en chantier concertée, de concrètes et légitimes aspirations à l'édification de l'Etat de droit et de loi souhaité.

Mais auparavant, et parce que ce mal sournois du zaimisme accordant la suprématie injustifiée des droits des uns au détriment de ceux des autres, à l'origine de nombre de dissensions et d'embûches entre diverses catégories d'intellectuels des différentes contrées du monde arabe, sans cesse englués dans de stériles chamailleries, il importe de s'élever, judicieusement, contre tout état de fait déplorable, en interpellant, notamment les consciences, à l'examen avec perspicacité, en chaque fâcheuse circonstance, des motifs sous-tendant les positions intransigeantes, voilant le plus souvent des motivations de quête éperdue de leadership à différents niveaux et que, dans la majorité des cas rien ne justifie, évidemment !

Car, en effet, ces prétentions aux dirigismes, d'une façon générale, ne reposent, généralement et malheureusement, sur aucuns fondements légitimes, n'ayant été ni démocratiquement désignés, ni qu'elles témoignent, par exemple, de la réalisation de quelques hauts faits historiques, entreprises réformatrices révolutionnaires, ou expérience d'activisme promotionnel social exemplaire, ou autres œuvres de performances méritoires, notables etc., à même de justifier, à la rigueur, telle ou telle aspiration ou revendication à un légitime accès à un piédestal honorifique, local ou international. Mais il n'en est rien de tout cela. Et c'est bien regrettable, sachant que la compétitivité véritable entre intellectuels dignes de cette appellation, se fait non pas sur le terrain miné des stériles subjectivités intempestives mais sur celui du domaine vénérable des sciences, techniques, arts et cultures, la concurrence s'opérant, ainsi, essentiellement sur le terrain concret de la productivité et des recherches constructives généreusement profitables à la société. Comme le montre l'exemple concret des intellectuels productifs des nations puissantes du monde qui tirent, de tous temps, les enseignements des expériences mutuelles des uns et des autres de leurs concitoyens consciencieux et responsables. Les performants, parmi ces derniers, étant constamment encouragées et prises comme modèles même, suggestifs des voies similaires à suivre, pour davantage d'amélioration et de progrès vers l'avant, et non pas la régression vers l'arrière par cette déconsidération et découragement systématiques des niveaux compétitifs caractérisant les procès invétérés de la mentalité du «zaimisme».

De la nécessité d'encourager les concertations entre intellectuels Comme quoi, les intellectuels qui aspirent à l'idéal de développement de leur pays se doivent absolument d'être conséquents vis à vis d'eux-mêmes d'abord, en tentant, notamment, de multiplier les rapports entre eux et leurs diverses instances de réflexion pour pouvoir mieux augmenter leurs possibilités d'être à la hauteur de leur rôle. Naturellement, non pas d'idéologues acharnés, mais celui approprié de producteurs de sens, sans de soucier de plaire ou déplaire à quiconque, s'attelant au souci d'objectivité, essentiellement, et entre autres, de communicateurs et médiateurs, jeteurs de ponts pour la multiplication des diverses initiatives et entreprises d'actions promotionnelles dont la prise en considération des projets présentés, se doivent d'être encouragés par les instances publiques des pays aspirant sincèrement à un authentique développement multidimensionnel. Il y va, bien sur, de l'évolution scientifique, technologique et culturelle de chaque pays arabe ayant décidé d'entreprendre résolument une dynamique de démocratisation sociale et de développement modernisateur au grand bonheur de son peuple, de la perpétuation de sa stabilité sociopolitique et de son prestige national?

 Il y a, certes, beaucoup d'obstacles et contraintes se dressant dans la voie des intellectuels, en plus de leurs divergences particulières, mais ceci ne devrait, cependant, pas constituer, en principe, une raison pour s'abstenir d'entreprendre, au niveau social de chaque pays, toutes sortes d'initiatives concourant à réunir et communier les adeptes de la noble pensée émancipatrice dans le monde des sciences, des techniques, arts, cultures, spiritualités tolérantes, etc.

Toute une panacée qui se devrait d'être promue et encouragée pour le développement national global de chaque contrée, notamment à la faveur des vents nouveaux, locaux et universels, qui se lèvent à l'horizon, attisant les espoirs de modernisation, des communications - échanges multidimensionnels via réseaux multimédias, cultures médiatiques du cyberespace, etc. , propageant partout, notamment ; les appels à l'observation mondiale et régionale des droits et libertés de l'homme, droits de la femme et de l'enfant, les tolérances réciproques, métissages culturels, démocraties participatives citoyennes, etc., etc.

 Autant d'atouts très prometteurs s'ils sont entrepris consciencieusement et avec suivi des efforts constructifs des gens de bonne volonté, à quelque niveau qu'ils se trouvent, étatique, privé, mixte ou indépendant, surtout quand ils émanent des jeunes générations montantes, aux potentialités créatrices prodigieuses et productivités émancipatrices, suscitant, franchement, de grandes espérances de rejaillissements d'énergies de développement et d'épanouissement nouveau.

 Pour peu que toutes ces virtualités, vecteurs sûrs de développement contribué en multiples domaines, soient résolument encouragées, et impulsés obstinément, à tous les niveaux socioprofessionnels, socioculturels, et autres, par une dynamique sociétale, par exemple, de modernisation environnementale et de démocratisation sociale, incluant sites d'activités polyvalentes décentralisés de proximités, etc..

 Ce qui serait susceptibles de venir à bout, probablement, des sempiternelles barrières de stagnation et des mésententes habituelles entretenues par la culture surannées du spectre du zaimisme décelable à divers niveaux institutionnels, publics et sociaux, fréquemment à l'origine des dissensions et murs d'incommunicabilité entre les catégories d'intellectuels de chaque bled, qui les empêche, jusqu'ici de participer démocratiquement à l'instauration d'un tout autre climat social, fait de dialogue, de concertations et de convivialité, à l'heure justement de la société mondiale de la communication et des satellites sophistiqués du cyberespace sifflant au-dessus de nos têtes !

D'une manière générale, il y a beaucoup à faire en divers domaines, et les intellectuels oeuvrant à différents niveaux des instances publiques et privées, et de quelques tendances qu'ils soient, sont, peut-être, les premiers à être interpellés pour susciter des débats et forums publics, etc. En multipliant, notamment, les lieux de rencontres appuyés, entre autres, par les médias et associations, en vue de se concerter sur tous projets de développements nationaux, et en s'abstenant de la sorte, d'être constamment à l'écart, sachant que ce droit de participation démocratique citoyenne à l'effort d'édification nationale, avec notamment la mise en place de créneaux adéquats, entre autres de réseaux audiovisuels satellitaires, à même de favoriser concrètement la participation citoyenne tablant sur plus de transparence dans la gestion des institutions, entreprises, cités, etc. . Et ce d'autant plus que ce droit de participation démocratique citoyenne et d'ouverture médiatique pluraliste sociale est garanti par la charte des Nations Unies à laquelle ont souscrit pratiquement tous les pays arabes, certains, parmi ces derniers, affirmant, déjà, dans leurs constitutions ce droit citoyen se devant, ainsi, d'être scrupuleusement respecté.Et dans ce contexte, on ne soulignera jamais assez, l'importance de l'apport incontournable des médias, notamment d'un secteur audiovisuel imposant, aussi bien public, privé, mixte ou indépendant, dans, notamment, la couverture en direct des débats contradictoires?si toutefois les autoritarismes sévissant dans ce secteur cessent, une bonne fois pour toutes, d'avoir continuellement peur de leurs citoyens administrés, ce qui contribuera à renouer enfin la confiance, avec les jeunes générations montantes, surtout, plutôt que de voir ces dernières, reprendre, tôt ou tard, si leurs conditions sociales ne s'améliorent pas, le chemin fâcheux des émeutes généralisées, fatales alors pour les apparatchiks autoritaristes de toutes les contrées persistant à faire fi de toute bonne sagesse préventive?

 Nul doute que les débats contradictoires en communion avec les appels d'intervenants de la société civile, c'est pratiquement ce qui constitue, de nos jours, la caractéristique majeure de tous les pays modernes ou de ceux émergeants aspirant à la démocratie authentique qui renforcent, de ce fait, la confiance entre gouvernants et gouvernés. Et force est de constater, que dans nombre de pays arabes, la transparence démocratique fait cruellement défaut, engendrant sur ce plan des déficits auxquels il urge de remédier.

 Car plus le temps passe et plus les retards s'accumulent et plus il serait difficile, voire impossible par la suite, de rattraper ce qui est perdu. Il appartiendra dès lors à l'Histoire de situer les responsabilités, à chaque niveau. Le cauchemar redouté, étant celui que l'on pourrait évoquer, encore une fois, à un autre niveau de l'évolution historique, de l'autre décadence du monde arabe au sortir de l'ère providentielle des rentes pétrolières, si jamais- Dieu nous en préserve- ces dernières ne seraient pas suffisamment exploitées dans le bon sens de la gestion rationnelle, démocratique et transparente des bonnes et dignes gouvernances qui se respectent.  

A l'époque de la mondialisation déferlante qu'on souhaite multipolaire, à l'ère désormais de l'effritement des grands mythes et des ponts jetés de la Modernité et culture démocratiques transnationales, il importe surtout de s'arrimer par le travail d'arrache-pied aux réalités de cette aube naissante du troisième millénaire ou XXI è siècle, et de se définir essentiellement par rapport au présent et à l'avenir. Et c'est principalement ce dernier qui devrait être le repère fondamental pour qu'émerge enfin, progressivement, la société arabo-berbero-musulmane moderne, relativement équilibrée, en ce sens qu'elle soit audacieusement ouverte sur les progrès scientifiques, technologiques et socioculturels courants et, parallèlement, développant, valorisant, promouvant et fructifiant ses atouts spécifiques socioéconomiques, civilisationnels -spirituels, culturels et artistiques patrimoniaux divers.

Du rôle producteur de sens et médiateur ? communicateur social de l'intellectuel Mais avant d'en arriver à cette société relativement équilibrée qui devrait s'ébaucher, en principe, progressivement au quotidien, il y a fort à faire, auparavant, en chaque pays, pour pouvoir affermir une culture locale plurielle et diversifiée, la développer, fructifier et améliorer conséquemment ses contenus et éléments constitutifs divers, parallèlement à la mise en place d'industries culturelles de l'audiovisuel, du livre et des médias en général, ( publiques et privées, tout se complétant ici), afin d'espérer un jour, pouvoir véritablement entrer de plain-pied dans la phase de Modernité contemporaine universelle, en dépassant de la sorte, concrètement les phases caractéristiques des visions restreintes : ce n'est qu'à cette condition que l'on pourrait véritablement escompter voir reposer l'institution sociale nationale sur de solides assises culturelles et infrastructurelles, favorables de fait, à son affirmation en tant que société évoluée et moderne, aux atouts culturels spécifiques avérés, s'imposant tant sur le plan national que sur l'échiquier international ( comme le donnent à voir l'exemple original, entres autres, du Japon, de la Malaisie, de la Corée, du Mexique, de l'Afrique du Sud, etc.)

A suivre *Auteur indépendant de textes journalistiques, littéraires, dramatiques

(presse culturelle indépendante et sur le Net via google et oboulo.com )