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Footeux bac

par Abdou B.

«Le mépris des hommes est fréquent chez les politiques, mais confidentiel». A.Malraux

Un sport magnifique, fait d'esprit collectif, d'efforts continus, de travail acharné, est devenu en Algérie un acteur à part entière dans les champs politiques, de l'Education nationale et du management de la société. Si les joueurs, la FAF et l'encadrement de l'équipe nationale font leur job comme il faut pour redorer le blason du pays et remporter des victoires méritées, beaucoup de ministères ne peuvent dire ou en faire autant.

 Après une série de grèves dont personne ne connaît avec précision les résultats finaux ou définitifs, les élèves, leurs parents et les enseignants continuent à naviguer à l'aveuglette. Dans des lycées d'Alger, des cours ne sont pas faits, des élèves passent le temps devant les établissements avec le désarroi des parents. Le surveillant général, le directeur du lycée, coupés des professeurs, ne sont d'aucune utilité pour personne. Toutes les grèves dans l'Education nationale sont terminées à moitié, des centaines d'heures de cours sont perdues en route, et déjà les épreuves du bac sont directement préparées en fonction de... la Coupe du monde de foot. Trois semaines de cours ont sauté. Une partie du programme a été éliminée devant de vraies difficultés, en termes de pédagogie et de volume horaire, pour la rattraper.

 On passe outre, faute d'avoir su négocier avec les corps enseignants pour trouver dans des délais pertinents de bonnes solutions consensuelles. On va donc aménager des épreuves du baccalauréat en fonction des «blancs» du programme et pour permettre au plus grand nombre de... suivre des matches de la Coupe du monde.

 Quelle sera la valeur de ce bac comparé à celui qui se déroulera dans les pays qualifiés en Afrique du Sud ? Sans nul doute, il sera inférieur pour envoyer des bacheliers dans des universités, qui ne seront donc pas au niveau de la compétition mondiale que se livrent des universités de grande compétitivité à travers le monde. Les discours de M. Bouteflika sur l'importance stratégique de l'enseignement, de la recherche scientifique et de la considération vitale qu'il faut avoir pour ceux qui transmettent le savoir sont ainsi réduits à néant. Tout simplement parce que l'administration refuse de les reconnaître et de négocier avec des syndicats de terrain, représentatifs d'une partie des éducateurs.

 Après la Coupe du monde qui ne dure qu'une poignée de semaines, on tournera la page sans évaluer les dégâts répercutés dans l'enseignement supérieur. Heureusement qu'il n'y a pas une coupe du monde chaque année en même temps que le bac en Algérie, avec une qualification assurée pour l'équipe nationale! Si un signal fort a été donné par la société en brassant tous les âges, conditions sociales et statuts confondus après la victoire algérienne sur l'Egypte, rien ne prouve qu'il a été entendu et décodé, du moins jusqu'à présent, par les décideurs du pays. Les paramètres identitaires, le spectre de l'appartenance de l'Etat-nation, la relation de l'Algérie avec le reste du monde n'ont donné lieu à aucune réflexion, ni du côté de la majorité présidentielle ni de la part des oppositions. Ces dernières, devant les résultats convenus de la dite tripartite, de l'hystérie officielle égyptienne, de l'installation de la commission interministérielle pour la PME/PMI, gardent une réserve, sinon un silence révélateur du marasme que connaissent tous les appareils partisans. Ces derniers, tous, sont dépassés par la vitalité inventive de la société, des syndicats autonomes qui animent une série de corps de métiers. La grippe porcine, pour les officiels, les citoyens absents de tous les débats et pour l'opposition, est une affaire banale, anecdotique, à la limite exclusive à «l'Occident mécréant». L'immunité devant cette pandémie, prise au sérieux dans les grands pays développés, semble être un privilège «divin», diffus, au vu de l'absence de communication, comme c'est le cas du sida qui ne devient une menace qu'une fois par an, à l'occasion de sa journée mondiale.

 Des chercheurs et experts nationaux, dans la presse privée, ont délivré des analyses et des commentaires d'une grande richesse à même d'éclairer les décideurs et les formations politiques. L'irruption de la société, de la majorité des jeunes après le match Egypte-Algérie, la situation économique, sanitaire, universitaire, l'émigration et la harga, la mixité, la religiosité ambiante et son utilisation politique, toutes ces problématiques et tant d'autres sont chaque jour décortiquées par les élites nationales. Celles-ci sont-elles écoutées, consultées par les partis, les parlementaires (occupés par leurs salaire, retraite et privilèges), par le gouvernement? Rien n'est moins sûr. Les mêmes clientèles, les mêmes mécanismes et processus de nomination d'avant la chute du mur sont reconduits systématiquement. «Vous avez les journaux privés, nous avons le pouvoir et les médias lourds», semblent répondre avec une belle discipline tous les gouvernants et leur périphérie.

 Il y a l'Algérie, bien sûr, mais il y a aussi le monde dans lequel les élites et les jeunes veulent faire entendre leur voix, leur génie créateur. Ghaza, les minarets en Suisse, la guerre idéologique et sociale menée par l'Europe contre l'émigration et les musulmans, la Palestine définitivement livrée à Israël, les changements climatiques ne disent strictement rien aux formations politiques en Algérie.

 Lorsqu'une majorité composite n'a aucune identité sur ces questions, n'a aucun point de vue argumenté, comment stigmatiser des jeunes fans de l'émeute et leur reprocher d'avoir perdu la boussole ?