Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Services informatiques et délocalisation indolore

par Akram Belkaïd, Paris

 Certains économistes appellent le phénomène dont il va être question une «délocalisation indolore», d’autres, comme l’éditorialiste David Barroux, évoquent la «délocalisation douce». De quoi s’agit-il exactement ? Ces expressions désignent en fait des mécanismes où un groupe crée des emplois à l’étranger sans vraiment réduire ses effectifs dans le pays dont il est originaire. On est loin du scénario de l’usine fermée du jour au lendemain et des milliers d’emplois détruits au profit de lointains travailleurs asiatiques payés une misère.

 

L’exemple Capgemini

 

 La société de services informatiques française Capgemini est une bonne illustration « de la délocalisation douce ». Alors que ses effectifs se maintiennent bon an mal an en France, ils ont tendance à augmenter à l’étranger et surtout en Asie. De fait, selon la presse économique française, cette SSII compterait aujourd’hui 20.100 salariés en Inde contre 20.000 en France. Certes, la différence est minime - elle est tout de même appelée à se creuser - mais elle relève surtout du symbole. Fleuron hexagonal de l’ingénierie informatique, Capgemini peut désormais être considérée comme une entreprise franco-indienne.

 Cette évolution d’un groupe emblématique des mutations de l’économie au cours des vingt dernières années est porteuse de plusieurs enseignements. Il y a d’abord, mais qui peut l’ignorer, le fait que l’Inde a vraiment réussi sa stratégie en matière de formation en génie informatique. Une stratégie initiée dès la fin des années 1960 et qui a fait de ce pays le premier exportateur mondial de services informatiques - on pense aussi aux centaines d’ingénieurs indiens recrutés chaque année dans la Silicon Valley. « L’Inde est au coeur de notre stratégie de ‘rightshore’ qui consiste à être le plus proche de nos clients’ grâce à notre présence dans les pays historiques du groupe comme la France, tout en bénéficiant d’une puissante plateforme ‘offshore’ », a ainsi déclaré au quotidien Les Echos Jeremy Roffe-Vidal, directeur des ressources humaines du groupe Capgemini (*).

 Une dualité classique. Proximité avec le client «naturel» - ce qui implique qu’une présence nationale est indispensable - et appui sur une délocalisation dans une zone à bas coût. Et cette articulation est d’autant plus payante lorsque le pays cible de la délocalisation connaît lui aussi une croissance soutenue de la demande grâce à l’existence d’un marché interne. Ce qui est bien sûr le cas de l’Inde dont l’économie affiche un taux de croissance moyen annuel proche des 6 %. Seule «ombre au tableau» : les salaires en Inde accompagnent petit à petit cette croissance et, déjà, certaines SSII lorgnent vers les Philippines et le Vietnam...

 

Et le Maghreb ?

 

 L’autre enseignement concernant Capgemini et la dualité de ses effectifs concerne le Maghreb. Ils seraient un peu plus de 200 employés de la SSII au Maroc. Une misère en comparaison des effectifs indiens ou même de ceux du reste de l’Asie (près de 1.500). Cet exemple peut servir de base à une extrapolation à l’ensemble du secteur maghrébin des services informatiques. Même si plusieurs SSII, dont certaines sont exportatrices, ont été créées au cours des dix dernières années dans le Maghreb, il reste que cette région est très en retard par rapport à ses concurrentes dans la course à l’attraction de la délocalisation en matière de services informatiques. C’est un élément de plus qui conforte la thèse selon laquelle le Maghreb a raté la révolution des technologies de l’information.


(*) Les effectifs indiens de Capgemini dépassent ceux de la France, Les Echos, 20 octobre 2009.