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On a gagné !

par Ahmed Saïfi Benziane

La victoire encore fraîche de l'équipe nationale de football a suscité une joie immense et une peur aussi bleue qu'un hématome de visage. Joie d'avoir traversé l'obstacle rwandais avec une chance de qualification contre une Egypte qui se prend pour le centre du monde. Joie d'avoir échappé aux griffes d'un arbitrage qui confirme la persistance de la corruption, véritable gangrène africaine, ou tout au moins de cette incompétence à faire des lois la seule limite entre les Hommes. L'Afrique demeure une lecture difficile à écrire et beaucoup plus facilement lisible par le haut. L'essentiel dan tout cela est que l'équipe Algérienne donne à chaque fois du plaisir à faire occuper les rues par une jeunesse en liesse à la limite de l'hystérie, brandissant un drapeau qui voudrait en dire long sur le sens de ses couleurs. L'essentiel est que la rue ne se fait pas occuper que par l'émeute et la destruction des édifices publics. Qui remercier ? Un homme qui a été longtemps écarté du registre de la réussite et dont la capacité à faire aboutir un projet, était reconnue de tous ? Des joueurs qui font la joie des galeries européennes, alors qu'une simple reconnaissance de leur valeur par une terre qui sait faire bouger leurs corps sur un air de musique traditionnelle, suffit à leurs repères ? Des supporters longtemps privés de victoires par manque de stratégie politique, poussés à supporter des clubs étrangers et à porter haut leurs couleurs par désir de reconnaissance en ceux qui savent gagner ? Reste l'occupation des rues par des femmes, des hommes jeunes et moins jeunes, dansant, savourant l'instant, oubliant l'espace d'un moment leurs problèmes, leurs misères, le mépris, inventant des couleurs de feu et de lumière, circulant à travers eux-mêmes, se transmettant cette force qui aurait pu nous éviter bien des regrets. Ensemble. Un mouvement d'ensemble sans répétition, spontanément. Comme un certain 5 Juillet 62. A chaque victoire de l'équipe nationale. L'image d'un peuple qui démontre que les lois qui le privent de manifester y compris contre Israël, ne sont plus de mise et que ceux qui savent les faire respecter à coups de matraques sont complètement dépassés. Ces lois qui imposent un silence total, au mécontentement populaire et qui permettent à des émirs locaux une main basse sur le pays. Bien sûr que les partis politiques et autres appendices associatifs persistent dans la voie de l'autruche en feignant un rôle qu'ils ne jouent plus ou qu'ils n'ont jamais joué. Ben sûr qu'à l'approche d'élections ils rouvrent leurs portes sur des locaux moisis par la fermeture qu'ils rénovent par des chants patriotiquement nostalgiques. Bien sûr qu'ils ne servent qu'à un décor politique pour justifier le passage de grades à des individus qui savent se faufiler entre les mailles du filet vers les cimes des sièges de l'Etat. La leçon est pourtant facile à retenir. Une équipe de football mobilise mieux et plus que toute la classe politique réunie, mieux et plus que Bouteflika et ses programmes électoraux, sans contrainte et sans bus, sans appât que celui de marquer des buts dans le camp de l'adversaire, provoquant des cris de joie et des bras levés vers le ciel pour démontrer qu'ils font toujours partie du corps. Pour montrer qu'après un match de football ces bras peuvent servir à autre chose que de nager impuissants vers les côtes de l'Europe, accrochés à une barque de fortune. Il suffit de les voir. Pour montrer qu'ils peuvent encore labourer, porter un sac de ciment, écrire et qu'ils en ont marre de décharger des bateaux alimentaires. De rester croisés, les mains ouvertes sous les aisselles à attendre qu'une équipe de football les délivre, pendant qu'une équipe gouvernementale s'amuse à dérouler des menus de chiffres qui n'ont aucune emprise sur le quotidien. S'amuse à faire du mensonge des chiffres, une recette non vérifiable tant la cuisine inconnue et les cuisiniers nombreux. Un seul homme comptait aux yeux des Algériens en ce 11 Octobre, un seul comptait à chaque match, un seul comptera face à l'Egypte. Un homme serein pourvu du sens de la stratégie, parlant peu et surtout pas de détails. Et cela nous rappelle Boudiaf annonçant qu'il n'avait pas trouvé 60 personnes valables pour créer un conseil de transition. Il en est mort juste après les voir difficilement trouvé. Le peuple de la rue a déjà oublié. Laissons-le danser, il n'a plus que ça à faire, puisque pour une fois nous apprenons à gagner.