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Le futur sénat sera-t-il un club de milliardaires ?

par Amara Khaldi

Aux dernières nouvelles la mise à prix d'une voix tourne autour de 30 Millions de Centimes et les premières arrhes sont d'ors et déjà versées alors que la courbe n'est parait-il qu'au début de son ascension. Les prémices d'une grande nouba se précisent chaque jour un peu plus et rien ne laisse présager un quelconque fléchissement dans les semaines qui nous séparent de l'échéance. Au contraire tout indique que les élections restreintes du renouvellement d'une partie du Sénat nous réservent des situations qu'on n'aurait jamais imaginées, même dans les rêves les plus fous. Pour les initiés, nous venons juste d'allumer la bougie du préchauffage de la mécanique, qui inaugure en général la phase de prospection des espaces de manœuvres avec le recensement des moyens disponibles et des ressources mobilisables de chaque candidat potentiel avant d'établir le plan de bataille. Les tractatations vont bon train et les longues veillées du Ramadhan et les bousboussades de l'Aïd el Fetr ont été opportunément consacrées à tisser des réseaux d'alliances et de stimuler les atavismes encore assoupis pour consolider les points forts de la stratégie de lancement.

L'effervescence est tellement passionnée dans les différents états-majors de campagne que cette échéance électorale semble enjamber sans aucune discrétion toutes les conventions d'usage et se transformer ouvertement en une grosse affaire commerciale soumise aux règles impitoyables du marché. Pour une caste bien déterminée, qui a le mérite de ne plus cacher son jeu, c'est l'ouverture de la chasse. Même les faux-semblants de démocratisation avec laquelle on habillait traditionnellement l'évènement ont été abandonnés. Trêve d'hypocrisie, pourquoi s'encombrer de mises en scènes surannées qui n'arrivent plus à convaincre personne.

 Le champ d'action est vraiment balisé pour les parties en présence : les grosses fortunes d'un coté dans le rôle de chasseur, et de l'autre le gibier constitué par les élus des Assemblées dites autrefois populaires proposant leurs charmes au plus offrant. Quant au troisième larron au nom duquel tout ce cirque est planté mais que personne n'a invité, en l'occurrence le peuple ; ce dernier s'en fout comme de l'an quatorze, tellement ce carnaval se trouve à des années lumières de ses préoccupations. Combien elle est loin leur planète !

 Les soubresauts de ce qui subsiste d'une classe moyenne laminée par la paupérisation sont si peu perceptibles qu'elle se trouve dédaigneusement écartée de ce challenge. Cette fois il suffit d'observer la tendance générale impulsée à cette opération dés son amorce pour se convaincre que les chances de nos cadres et intellectuels sont vraiment dérisoires de participer aux joutes futures. La mise est hors de portée et la barre est cyniquement placée trop haut pour tuer dans l'œuf toute velléité de traverser le rubicond et rejoindre le groupe des favoris. On ne se présente pas pour concrétiser un programme électoral suscitant l'adhésion des citoyens grâce à sa pertinence, la principale motivation obéit manifestement à un souci d?enrichissement personnel rapide et l'acquisition de puissance pour conforter un statut social permettant d'évoluer dans les hautes sphères. En conséquence pour s'embarquer il faut avoir les reins bien solides ! C'est un lieu commun de dire que les élections tendent à devenir une chasse gardée réservée aux nouvelles oligarchies qui commencent à étendre leur influence à tous les rouages de la société. Pour respecter quelques convenances on trouvera peut être parmi les postulants quelques « docteurs ou professeur » On s'apercevra cependant assez rapidement que dans neuf cas sur dix ce sont uniquement des titres de fonction qu'ils n'ont jamais exercée et qui servent juste à satisfaire certaines formalités administratives ou à illustrer de faux CV.

Quelques-uns uns, piaffant d'impatience de se retrouver sous les lambris dorés du palais Zighout n'hésitent plus à afficher ostensiblement leurs ambitions et n'éprouvent aucun scrupule à déclarer combien ils sont décidés à mettre le paquet necessaire. Le recours à n'importe quelle combine, aussi condamnable soit-elle, pour atteindre leurs objectifs ne les gênerait pas outre mesure.

 La presse nationale rapporte que quelqu'un annonce à qui veut bien l'entendre qu'il met déjà en jeu la bagatelle de trois milliards pour «acheter» un siège. Aussitôt certains de ses congénères en apprenant cette nouvelle, se sont sentis offusqués par la? modicité de cette somme et crient à la clochardisation du sénat et à son bradage. Devant l'étonnement général, l'un d'eux précisa les raisons de leur indignation en regrettant que c'est quand même une honte pour le pays si des «bergers»avec une somme aussi insignifiante osent?se présenter aux élections de la chambre haute !

 Tous les facteurs qui pouvaient dans le temps influer sur le cours des évènements sont devenus obsolètes.

Exit la discipline partisane et autre casquette, les chances de figurer sur la liste en pole position sont directement proportionnelles au poids du sachet noir en dehors de toute autre considération. Les boursicoteurs des marchés à bestiaux, très au courant de la cotation en bourse du mouton prédisent un avantage indiscutable aux gens de la terre, notamment les gros éleveurs dopés par les premières pluies automnales en cette année de grâce. Les gens bien introduits dans ce monde interlope n'hésitent pas à parier que notre auguste assemblée aura cette fois une coloration paysanne avec une franche teneur de zaouisme new look. Nul ne peut ignorer que cette dernière a le vent en poupe et il n'est pas loin le jour ou le fait de mentionner sur sa carte de visite son appartenance zaouyale serait le must des distinctions et mieux apprécié que d'être le lauréat des meilleures universités. Dans cette société où la bigoterie, comme une herbe folle, est en train de s'incruster dans le moindre de nos comportements, les anciennes valeurs et les références classiques ont beaucoup perdu de leur déterminisme. Etre bardé de diplômes ou détenir une attestation de baroudeur de première heure longue comme le bras sont tombés en disgrâce à moins d'un miracle qui les réintroduirait dans la cotation nationale. Tout semble se diluer devant le veau d'or et un mode d'organisation sociale archaïque remis curieusement au gout du jour. Les contours du paysage politique se précisent et les deux plus puissantes sources de parrainage à l'heure actuelle, qui se confondent souvent dans des alliances d'intérêt, ont déjà lancé leur campagne de casting pour désigner leurs compétiteurs. Les grands sponsors des élections prévues sont donc déjà en ordre de bataille et le parcours du candidat commencera sans aucun doute par la prestation du serment d'allégeance avant d'être admis dans l'arène où les gladiateurs s'affronteront à coup de bank notes sous l'œil connaisseur des magnats de la finance et la baraka des différentes confréries.

 Pour ne pas trop heurter les us bureaucratiques du pays on s'inscrira sous telle chapelle partisane ou en indépendant. Les conditions d'éligibilité telles que la compétence, la moralité et autres qualités éculées sont vraiment facultatives et n'ont aucune incidence.

Qui aura l'autorité nécessaire pour rappeler que ce genre de perversion n'est pas hallal et qu'il contribue à la désagrégation du tissu social en creusant des gouffres infranchissables entre les différentes strates de la société? Que devient le crédit de l'état et de tout le pays lorsque ce spectacle se déroule au grand jour comme pour narguer d'avantage les citoyens qui s'accrochent encore naïvement aux lambeaux du légalisme ? Se demander par la suite quelles sont les raisons de notre marasme relève de la cécité et de la mauvaise foi.

 Pour des générations éduquées dans l'égalitarisme prôné par l'école et la mosquée rien ne justifie ces scandaleuses disparités et encore moins l'impunité dont jouissent certains pour se permettre cette arrogance Qui pourra, dans ces conditions, réconcilier l'Algérien lambda plongé dans les affres de la précarité alors qu'il trime comme un forcené, lorsqu'il a la chance de trouver un boulot, avec celui qui touche un salaire faramineux pour lever machinalement le bras trois ou quatre fois par an parce qu'il a eu les moyens de décrocher ce statut prestigieux en usant de ces méthodes sulfureuses. Que reste-t-il de commun entre les deux à part le carton de la Carte Nationale d'identité ? Non milliardaire, s'abstenir !