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Nos députés dépités ont du fric mais pas de flingue !

par Boudaoud Mohamed

Avertissement : aujourd'hui, l'histoire que nous allons vous raconter est vraie. Nous vous recommandons de la lire attentivement. Prenez votre temps et concentrez-vous sur chaque mot comme vous savez le faire lorsque vous écoutez quelqu'un vous rapporter des informations inédites sur le voisin. C'est que l'heure est grave !

Jamais votre serviteur n'aurait cru que les députés algériens ne sont pas armés. Il a fallu qu'un journal aborde le sujet pour lui révéler qu'il n'est qu'un tas de viande boursouflée d'ignorance, lui qui se vantait d'avoir une tête suffisamment documentée. L'article de presse salutaire disait en résumé que beaucoup de députés ont déposé au bureau de l'APN une demande dans laquelle ils expriment le vu de posséder une arme, et que jusqu'à maintenant aucune suite n'a été donnée à cette requête. N'écarquillez pas vos yeux sur les mots, vous avez bien lu ! Nos Représentants du Peuple se promènent dans ce pays sans pistolet ? Est-ce possible ? Vous conviendrez lecteur qu'il est très difficile d'avaler une nouvelle aussi rugueuse et aussi amère ! Vous vous poserez certainement la même question que nous : qu'attends le Pouvoir pour équiper nos députés d'un pétard ? Est-ce là une décision qui nécessite réflexion et hésitation ? Faut-il qu'un malheur se produise pour qu'enfin nos Gouvernants se rendent compte de la gravité de cette négligence ? C'est pourquoi, nous les prions poliment de s'occuper de ce problème le plutôt possible. Avant que l'irréparable n'arrive, qu'à Dieu ne plaise !

Pourtant, tout le monde est au courant de ce qui se passe dans notre pays. Les pages de nos journaux sont remplies de faits divers qui vous glacent d'horreur. À tel point que vous avez envie de vous enfermer chez vous à double tour et de n'en plus sortir. Que dire alors d'un parlementaire qui n'est pas une personne ordinaire pour être exposé ainsi, les mains nues, aux dangers qui pullulent dans la patrie ! Disons le courageusement au risque de froisser certains sensiblards : que nous soyons, nous citoyens lambdas, plongés chaque jour dans un quotidien aléatoire et périlleux, peut se concevoir. Nous pourrions supporter ces coups du sort dans le silence. Mais qu'un de nos Porte-parole le soit aussi est inadmissible. Nous ne l'accepterons pas. Il ne sera pas dit dans les livres d'histoire que nous sommes un peuple qui n'a pas veillé sur ses Représentants. Nous ne serons pas la risée des générations futures ! Donnons maintenant un bref aperçu du banditisme qui sévit chez nous à ceux qui pourraient pinailler sur la nécessité d'armer les respectables locataires de l'APN.

Pour un oui ou pour un non, des bagarres éclatent qui transforment nos quartiers en champ de bataille, jetant sur le sol des cadavres et des dizaines de blessés. Armés de gourdins, de couteaux, d'épées, de haches, de barres de fer, et parfois de pistolets, les gens s'entretuent pendant des heures, ou pendant des jours, le corps chevauché par Satan.

 La cause ? Une ridicule partie de cartes ou de dominos. Une insignifiante parcelle de terre. Une discussion idiote. Une histoire d'amour. Bref, c'est souvent une broutille qui fait couler le sang de deux familles, de deux tribus, de deux clans, ou de deux bandes de gamins.

Un simple embouteillage transforme les automobilistes en bêtes furieuses, klaxonnant sans répit, hurlant des grossièretés qui dégénèrent bientôt en affrontement sanglant. Les nerfs à fleur de peau, les chauffeurs descendent de leur voiture et se jettent les uns sur les autres poussé par le désir de tuer. Des crics, des clefs à molette, des tournevis, des matraques, des poignards jaillissent des malles. Il faut percer des ventres, fracasser des têtes, briser des os, défigurer des visages, couper des veines et des gorges.

 Les marchés grouillent de voleurs qui accomplissent leur sale besogne en plein jour. Avec une audace qui vous estomaque, souvent une arme blanche à la main, ils s'emparent de la bourse ou du panier de leur victime et disparaissent dans la foule. Des voyous montent dans les bus et vident les poches et les porte-monnaie des voyageurs, accompagnant parfois leur forfait de violences graves. Des kidnappeurs enlèvent des enfants ou des adultes et demandent des rançons à leur famille, avec une menace de mort au cas où elle refuserait de s'exécuter. Des ravisseurs agressent sauvagement des automobilistes et s'emparent du véhicule. Même les écoles et les universités ne sont pas épargnées. Des élèves et des étudiants entrent en classe avec un couteau dans la poche ou le cartable.

Des enseignants sont tabassés ou poignardés. Des malades mentaux aux gestes imprévisibles se baladent dans les rues. Des ivrognes dégueulant sans trêve le contenu de leur estomac sur les passants. Des drogués en quête de came, la caboche farcie d'hallucinations meurtrières. Des mendiants collants qui vous barrent le chemin. Des odeurs nauséabondes capables de pourrir une poitrine en un clin d'oeil. Des objets lancés de nulle part qui vous balafre la figure ou vous brise la nuque. Comme des crachats. Des boites de conserve. Des bouteilles de bière. Des pierres. Un poste de télévision. Un meuble. Des trous creusés et abandonnés ainsi. Des millions d'yeux empoisonnés par la convoitise, distillant le mauvais oeil. Des aigris envieux jetant des sorts destructeurs à l'aveuglette. Des chiens errants, la langue ruisselante de rage. Des chats prêts à vous sauter au visage. Des myriades de mouches et de moustiques vampirisant à qui mieux mieux. Des serpents, des scorpions et des rats.

Des virus. Le pays est devenu une immense boîte de Pandore. N'importe où, à n'importe quel moment, vous pouvez être victime d'une agression qui peut vous coûter la vie. Notre peuple se laisse aller. Il faut sévir. Il a été trop gâté. Il profite de la gentillesse de nos Chefs. Et qu'on ne vienne pas nous raconter des salades sur ces actes criminels. Comme le chômage. L'injustice. La corruption. Le népotisme. Le mensonge et la manipulation. L'absence de l'Etat. Les déperditions scolaires. L'incompétence. L'autoritarisme... Ce sont là des balivernes inventées par des journaleux. La vérité est que les Algériens, trop chouchoutés, veulent devenir riches sans verser la moindre goutte de sueur. À peine sortis de l'enfance, des morveux incultes rêvent de posséder un joli magot, une voiture luxueuse, une villa spacieuse, et une mécréante étrangère qui s'est convertie à l'Islam. En travaillant ? Que nenni ! Ils vous riront au nez. Des millions d'emplois sont refusés quotidiennement. Le gouvernement n'arrête pas d'en créer ! Ils préfèrent mendier et voler. Ces paresseux. Ces parasites.

 Mais faut-il répéter ici ce que tout le monde sait ? Alors ? Dites la vérité : dans un pays pareil, est-il raisonnable qu'un député ne soit pas en possession d'une arme ? Nous savons que vous ne pouvez qu'être d'accord avec nous. Il serait irrespectueux de notre part de vous attribuer un avis contraire au nôtre. Chez nous, un parlementaire doit porter sur lui une arme à feu. Continuellement.

 Mais certaines têtes stupides trouveront que cette idée est déplacée et dangereuse. Il y a des tordus qui ne font aucune confiance à nos députés. Beaucoup de gens avec qui nous avons parlé de l'idée avant de l'exposer ici ont été jusqu'à dire :

- La plupart ne sont pas assez préparés pour avoir un revolver dans la main. Comme ils adorent les films westerns, ils se prendraient pour des cow-boys et se mettraient à tirer sur tout ce qui bouge ! Il y aura du grabuge à l'APN. Au moindre mot, ils dégaineraient, chacun se prenant pour Clint Eastwood. Ils ne voteraient plus en levant la main, mais en tirant en l'air, un cigare coincé entre les lèvres. C'est plus amusant. Ils ne résisteraient pas à la tentation de mettre quelques pruneaux dans la viande de ceux qui ne pensent pas comme eux. C'est plus facile et plus efficace qu'un débat. Seuls les membres du gouvernement échapperaient aux coups de feu. Car on ne tire pas sur ses bienfaiteurs. Mais les pauvres maires ne seraient pas à l'abri. Les citoyens aussi. Les motards et les agents de l'ordre public qui insisteraient pour contrôler les papiers de la voiture. Non, ce n'est pas une bonne idée d'armer ces quidams. Si au moins on était sûr qu'ils n'utiliseraient leur pistolet que pour épater la famille et les voisins, comme dans un mariage ou une circoncision, par exemple. Ou mettre de l'ambiance dans une campagne électorale. Il serait exagéré de leur refuser ces petits plaisirs innocents. L'odeur de la poudre est bonne pour le moral. Elle aide aussi à supporter et à compenser certaines anomalies. Il nous faut reconnaître aussi que du fric sans flingue, ce n'est pas chic. Mais ce n'est pas sûr. Ils seront certainement tentés de jouer de la gâchette ailleurs. Nous ne parlerons pas des accidents qui pourraient survenir. Par exemple, des épouses pourraient être victimes de balles parties bien sûr par mégarde. Certains parmi eux voudraient imiter le fameux héros espagnol Don quichotte, et iraient parcourir le pays pour combattre le mal. Ils voudraient chasser. Comme ils n'auraient pas de gibier à portée du pétard, ils tireraient sur les chiens et les chats errants. Les pigeons. On découvrira partout des cadavres de vaches et de moutons.

Ce qui ameuterait les organisations de défense des animaux. Les médias du monde entier accourraient. On enverrait des enquêteurs. Le droit d'ingérence serait évoqué. La nation serait en danger. Vous comprenez ? Vos députés feraient mieux de s'occuper de leurs électeurs au lieu de rêver à des feux d'artifice !

 Du bavardage ! Rien que du bavardage ! Mais, il aurait été malhonnête de notre part de ne pas donner la parole à nos contradicteurs. Nous sommes dans une démocratie. Chacun a le droit légitime de dire ce qu'il pense. Même s'il s'agit de bêtises, il nous faut les écouter jusqu'au bout. En ce qui concerne nos députés, nous rappelons que ce sont nos élus ! Nous les avons choisis après mûre réflexion. Sagesse et maîtrise de soi font partie des innombrables qualités qui les caractérisent. Hommes posés, ils l'ont montré maintes fois. Qui a entendu dire que l'un d'eux s'est emporté un jour ? Calmes et paisibles, ils ignorent la colère. Nos mahatmas députés ! La vérité est qu'ils méritent mieux qu'un pistolet ! Nous avons longuement réfléchi à la question et voici ce que nous proposons aux Autorités concernées. Il faut que chacun d'eux soit entouré constamment de plusieurs gardes du corps. Ils se déplaceront dans des voitures blindées. Étant obligés de temps à autre de descendre de ces engins, ils porteront dans ce dessein des masques importés du Japon. Leurs enfants vivront et feront leurs études à l'étranger. Ici, ces chérubins seront exposés aux dangers énumérés dans les lignes qui précèdent. Il leur faudra habiter dans une Cité secrète. Jolie et équipée de tout ce dont peut rêver un Algérien : comme un café, un restaurant, une mosquée, un supermarché pour hommes et un autre pour femmes, bien achalandés. Chaque villa sera entourée par un mur haut et épais. Avec une porte d'entrée blindée qui s'ouvre comme un coffre fort. Il faudra installer des caméras de surveillance partout.

Il y aura des barrages fixes à intervalles réguliers sur la route qui mène à la Cité. Voilà toute l'histoire, lecteurs. Votre serviteur espère vous avoir communiqué ses inquiétudes. Il vous demande pardon de vous avoir gâché votre journée. Il essayera dans les jours qui viennent de vous dénicher une histoire d'amour. Par exemple, une Finlandaise qui tombe follement amoureuse d'un Algérien... Surtout que notre journal sait choisir les photos qui conviennent... Mais trêve de rêve. S'il vous plait !