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Où est passée l'Europe ?

par Giles Merritt*

Tandis que la crise mondiale de la finance se transforme inexorablement en crise économique doublée de crise industrielle, le cri « Où est passée l'Europe ? » résonne à travers l'Union européenne. Jusqu'alors, la réponse de Bruxelles n'est pas des plus rassurantes.

 Le mot d'ordre de la Commission européenne est de défendre à tout prix l'intégrité du marché unique et d'utiliser son formidable pouvoir judiciaire pour s'assurer que les rachats et autres aides gouvernementales des 27 ne faussent pas la concurrence loyale. D'après les industriels dont l'humeur semble se durcir, ce mantra familier n'est pas suffisant.

 Les licenciements industriels, signe de fermeture d'usines importantes et de pertes d'emploi en cascade dans des milliers de petites entreprises, provoquent une inquiétude croissante en Europe. Les Etats se retrouvent sur un terrain d'affrontement avec l'UE, même s'ils savent que leur meilleure chance de survie repose sur une action européenne concertée. Bruxelles est consciente que la crise offre une réelle opportunité politique, tandis que la Commission ne l'a pas encore compris.

 L'heure est venue pour un nouvel ensemble de mesures industrielles européennes qui permettrait à Bruxelles d'utiliser son statut « d'honnête médiateur » afin de gérer des rivalités d'intérêt. Les eurocrates de la Commission devraient dépoussiérer des dossiers trentenaires pour se remémorer la manière dont leurs prédécesseurs ont géré la crise de l'acier qui menaçait de provoquer une guerre commerciale en Europe.

 A la fin des années 1970, la Commission a déclaré l'état de « crise manifeste » et a convenu avec les parlementaires les détails de ce qui s'intitulerait le plan Davignon. Rédigé par le parlementaire belge responsable du portefeuille de l'industrie, plusieurs de ses points s'appliquent particulièrement bien à la situation actuelle, notamment au secteur de l'industrie automobile.

 Le plan Davignon limitait la production en Europe et vérifiait les prix. Il contrôlait et coordonnait les subventions nationales, organisait la fermeture d'usines surannées, encourageait les fusions et a alloué des fonds à l'UE pour former et réorienter les anciens ouvriers de l'acier. Son objectif global était de rendre les fondements du secteur de l'ingénierie lourde en Europe plus compétitifs sur le plan international.

 L'auteur du plan, le Vicomte Etienne Davignon, a récemment commenté dans la presse belge qu'il ne comprend pas pourquoi la Commission ne fait rien de semblable aujourd'hui. D'après lui : « Faire de même légitimerait les subventions nationales (versées aux constructeurs automobiles) mais garantirait qu'elles reposent sur une stratégie commune à l'UE dans son ensemble. »

 Quoi qu'il en soit, les signes de la Commission ne sont pas encourageants. Aux récents appels de General Motors et Renault demandant d'accorder à l'UE un rôle plus préventif dans la coordination des rachats, le commissaire à l'industrie Gunther Verheugen a répondu qu'il n'y aur[ait] pas de plans particuliers par secteur. Il a accentué le fait que Bruxelles n'a ni les moyens ni le souhait de sauver l'industrie automobile. Il voit d'ailleurs peu de ressemblance entre les risques systémiques des services financiers et les problèmes rencontrés dans les domaines manufacturiers.

 Ceci restera une question d'opinion jusqu'aux prémisses de la fin de la récession. Mais à la vérité, personne ne sait si cette crise est un effet boule de neige ou une avalanche qui balaye les industries dans leur entier. Dans les deux cas, le marché unique subira une pression grandissante. La Commission a raison de dire qu'à l'époque de la mondialisation, on ne parle plus de constructeur automobile national. Mais il y aura toujours des usines nationales et des effectifs nationaux que les personnalités politiques défendront avec ardeur à l'orée des élections.

 Que la nouvelle stratégie anti-crise de l'UE ressemble ou non au plan Davignon compte peu. Il importe que l'Europe semble avoir un plan d'action commun pour gérer ce ralentissement économique. Les Eurocrates insistent que la réglementation et les outils politiques nécessaires sont déjà en place, mais c'est omettre la réalité politique. Si les règles du marché intérieur de l'Europe ne sont pas assouplies, les membres du gouvernement vont les transgresser.

 La crise a aussi souligné le besoin à long terme de considérer les politiques industrielles de manière plus concertée entre les 27. L'Europe est de plus en plus consciente que la crise va remodeler les fondements de notre industrie, puisque les pays asiatiques s'emparent de nombreux fiefs européens et états-uniens dans le domaine de la technologie. Or, la stratégie de Lisbonne, âgée de 10 ans, visant à garantir notre hégémonie high-tech dans le monde est grandement discréditée, raison supplémentaire d'introduire une vaste composante R&D dans tout programme industriel chez les 27.

 La présentation est une composante essentielle de tout processus politique et c'est là que la Commission européenne est la moins compétente. Les grands patrons et les citoyens ordinaires souhaitent tous entendre que l'UE travaille à des mesures visant au-delà de la morosité actuelle. Bruxelles n'est pas habituée aux roulements de tambour, mais le nécessaire dans l'immédiat, c'est un grand sens du spectacle politique qui restaurera la confiance dans le dessein de l'Europe et dans l'économie.

 

Traduit de l'anglais par Aude Fondard



* Secrétaire général de Friends of Europe, groupe de réflexion basé à Bruxelles, et rédacteur du journal de politique Europe's World