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Rythme scolaire et cacophonie institutionnelle

par Ahmed Bensaada (*)

Il est vrai que chaque rentrée scolaire charrie avec elle son lot de modifications pédagogiques ou organisationnelles qui servent souvent à alimenter nombre de discussions byzantines surannées. Pas cette fois-ci. Les annonces dans ce domaine se sont succédé à un rythme tel qu'il était difficile d'en suivre les péripéties.

Allait-on opter pour un week-end semi-universel ? Le mardi serait-il une journée de congé ? La durée des cours allait-elle être réduite à 45 min ? La rentrée se ferait-elle après l'Aïd ? Le nombre de semaines de classe serait-il augmenté ? Ces questions et leurs corollaires ont créé, à quelques semaines du début de l'année scolaire, un suspense beaucoup plus poignant que celui de tous les moussalsalates ramadhanesques réunies. Elles sont aussi le symptôme patent d'une gestion au petit bonheur la chance de la problématique complexe des rythmes scolaires qui ne doit être, en aucun cas, traitée avec autant de dilettantisme.

 Tout d'abord, l'expression « l'élève doit être au centre du système éducatif », si souvent galvaudée, ne doit pas être un simple leitmotiv ornant les papiers savants et servant le discours pédant de certains de nos ronds-de-cuir. Bien au contraire, elle doit être la pierre angulaire de toute réflexion ou décision touchant de près ou de loin l'élève.

 Prenons, par exemple, l'idée de reporter la rentrée scolaire après la fin du Ramadhan. L'argument avancé pour soutenir cette proposition émanant du président de la respectable Union nationale des associations des parents d'élèves (UNAPE) : « Le report aiderait les familles à bien se préparer surtout financièrement » (1). Est-ce l'élève ou les parents qui sont au centre du système éducatif ? A moins que cet organisme de parents d'élèves s'occupe plus des parents que des élèves. Bien que louable sur le plan socioéconomique, cette suggestion a un impact négatif sur le plan pédagogique car elle tronque plusieurs journées de classe à une année scolaire qui n'en a déjà pas beaucoup, comme cela va être démontré ultérieurement. Et cela sans compter sur l'image rétrograde que véhicule cette proposition sur le mois sacré en l'associant à l'oisiveté, au désoeuvrement et aux vacances.

 Le ministère vient de se rendre compte (mieux vaut tard que jamais) que le nombre de semaines de classe n'était pas suffisant pour achever les programmes en bonne et due forme. L'augmentation de 27 à 35 semaines « va permettre d'appliquer convenablement les programmes scolaires dans des conditions meilleures, tout en respectant les rythmes scolaires et les critères pédagogiques reconnus universellement » (2). Certains pédagogues ont même vu dans cette décision que « notre système commence à répondre à la norme de l'UNESCO » (3).

 Mais bien que cette prolongation soit une bonne nouvelle en soi, notre organisation scolaire est encore loin de ce qui se fait dans les pays reconnus par l'excellence de leurs systèmes scolaires. Cela vient du fait que ce qui est important dans l'enseignement, ce ne sont pas les semaines, mais les jours effectifs de classe et le volume horaire quotidien. D'autre part, nos décideurs et nos pédagogues sont souvent portés à un mimétisme systématique de l'approche française. Un genre de « syndrome de Stockholm » néocolonialiste, qui n'est nullement justifié si l'on juge par les résultats très moyens de l'école française à l'échelle internationale, ainsi que la critique de ses rythmes scolaires par l'OCDE (4,5).

 Si on tient compte des recommandations du ministère en termes de durée d'étalement des cours (du 13 septembre 2009 au 20 juin 2010) (2) des jours fériés et des congés scolaires, le nombre réel de jours de classe ne dépasse pas 155. Si on se base sur une semaine de 4,5 jours, ce nombre est encore plus faible pour les classes d'examens. En effet, l'examen de fin de cycle de primaire étant prévu le 9 juin 2010, le nombre de jours de classe réel pour les élèves de 5e année primaire n'est que de 149. De la même façon, les élèves qui passent le bac (prévu du 13 au 17 juin 2010) n'auront droit qu'à l'équivalent de 151 jours de classe. Ce nombre peut être maximisé à 167 si les mardis sont utilisés dans leur totalité (semaine de 5 jours).

 En résumé, les élèves algériens, dépendamment de leur niveau et des examens qu'ils auront à passer, suivront de 149 à 167 jours de classe. Ces nombres peuvent même être revus à la baisse dans les années futures s'il arrive que les jours fériés ne coïncident pas avec des fins de semaine, comme c'est souvent le cas l'année scolaire en cours.

 Qu'en est-il dans les autres pays ? Voici quelques exemples de pays qui sont reconnus pour la qualité de leur rendement scolaire. En Finlande, dont le système scolaire est considéré comme le plus performant au monde, 188 jours de classe sont prévus. Il y en a 180 au Québec, 200 en Hollande, 210 au Japon et 220 en Corée du Sud (6,7). En plus, et contrairement à l'Algérie, ces pays ont tous un niveau primaire qui s'étale sur six années.

 Le nombre réduit de jours de classe de notre système scolaire a une conséquence sur le volume horaire quotidien imposé à nos jeunes : 6 heures pour le niveau primaire et 8 pour les niveaux moyen et secondaire. Comparativement, au Québec, la semaine scolaire s'étale sur 5 jours complets durant lesquels sont dispensés 5 heures de cours quotidiennement. Cela est valable de la première année primaire à l'équivalent de la première année secondaire algérienne. Pour le niveau moyen (collège), un élève algérien suit quotidiennement 3 heures de cours de plus qu'un élève québécois (sauf le mardi). Selon Antoine Prost, historien de l'Education : « De nombreux médecins ont répété que six heures de classe pour des enfants de moins de 8 ans, c'est trop pour être efficace » (7). Des journées trop longues ont pour effet de fatiguer les élèves et de réduire leur concentration. L'OCDE, dans une critique du modèle scolaire français, a noté « qu'avec des horaires trop chargés, les enfants sont plus vulnérables au décrochage scolaire » (5). En outre, il est quand même curieux de vouloir imposer à de jeunes adolescents un nombre d'heures d'études égal à celui que travaillent leurs parents.

 Mais comment réduire le volume horaire quotidien, comme le recommandent de nombreux pédagogues, tout en maintenant un nombre d'heures annuel adéquat ? La solution est d'allonger encore plus l'année scolaire, de définir par décret le nombre annuel de jours de classe (et non le nombre de semaines) et de diminuer le nombre de jours de vacances, si nécessaire. Au Québec, par exemple, l'année scolaire s'étire du 31 août 2009 au 22 juin 2010, avec 15 jours (ouvrables) de congés scolaires. En Algérie, elle s'étend du 13 septembre 2009 au 20 juin 2010, avec 26 jours (ouvrables) de vacances.

 La réduction de la journée scolaire, en plus d'être pédagogiquement efficace, permet aux jeunes d'avoir des activités péri et parascolaires. L'élève pourrait alors s'adonner à des activités sportives ou culturelles, participer à des clubs scientifiques, se réunir avec ses pairs pour parfaire ses connaissances ou réaliser des projets pédagogiques si prisés dans l'approche par compétences.

 J'entends déjà certaines personnes monter au créneau et s'élever contre cette diminution des journées de vacances du personnel. A ceux-là, il est impératif de réitérer que « l'élève doit être au centre du système éducatif » et non pas le personnel. A moins que...

 Quant à la diminution de la durée des cours de 60 à 45 minutes, il est sage de l'avoir reportée à une année ultérieure.

 Pour étayer son propos, le ministre de l'Education a mentionné que les écoles allemandes avaient adopté cette façon de faire, ce qui est vrai. Mais ce qu'il a oublié de mentionner, c'est que les jeunes Allemands vont en moyenne 208 jours par an à l'école ! Il est aussi important de souligner qu'il est téméraire de vouloir modifier la durée des cours quelques semaines avant la rentrée et que l'opposition des syndicats est parfaitement justifiée. Même si cela peut paraître simple d'amputer 15 minutes à un cours, la tâche est beaucoup plus compliquée sur le plan pédagogique, surtout si l'enseignant doit faire de la gestion de classe. D'ailleurs, d'autres systèmes scolaires, comme celui du Québec, ont opté pour la solution inverse. Dans cette province canadienne, les cours du niveau primaire ont une durée de 60 minutes, mais la plupart des collèges publics du niveau moyen dispensent des cours de 75 minutes. La journée est ainsi constituée de 4 périodes de 5 quarts d'heure chacune qui permettent, lorsqu'elles sont bien planifiées, de réaliser des activités pédagogiques intéressantes.

 En définitive, la mise en place d'un rythme scolaire doit tenir compte des mécanismes d'apprentissage de l'élève, de sa motivation et de son rythme biologique. Elle doit aussi s'inspirer des systèmes scolaires de pays qui sont mondialement reconnus pour l'excellence de leurs résultats. Un rythme scolaire adapté aux besoins de nos enfants leur permettra d'avoir non seulement des têtes bien pleines, mais surtout des têtes bien faites.



(*) Docteur en physique, Montréal (Canada)



Références :



1. Naïma Hamidache. « La rentrée scolaire après l'Aïd », Journal L'Expression, 13 août 2009. Consultable en ligne à l'adresse URL: http://www.lexpressiondz.com/article/2/2009-08-13/66582.html

2. Journal La Tribune. «Education : la rentrée scolaire 2009/2010 fixée au 13 septembre prochain (ministère) », 17 août 2009. Consultable en ligne à l'adresse URL: http://www.latribune-online.com/l_info_en_continu/21260.html

3. Nassima Oulebsir. « Education : les nouveaux horaires en débat », Journal El Watan, 29 août 2009. Consultable en ligne à l'adresse URL: http://www.elwatan.com/Education-les-nouveaux-horaires-en

4. Catherine Rollot et Marie de Vergès, Journal Le Monde. (Page consultée le 7 septembre 2009). « La France paralysée devant ses mauvais résultats scolaires » [En Ligne]. Adresse URL: http://www.lemonde.fr/societe/article/2007/12/04/la-france-paralysee-devant-ses-mauvais-resultats-scolaires_985481_3224.html

5. Aude Sérès, Journal Le Figaro. (Page consultée le 7 septembre 2009). « L'OCDE critique les rythmes scolaires français » [En Ligne]. Adresse URL: http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2008/09/10/01016-20080910ARTFIG00046-l-ocde-critique-les-rythmes-scolaires-francais-.php

6. Asia Society (Page consultée le 8 septembre 2009). « South Korean Education » [En Ligne]. Adresse URL: http://www.asiasociety.org/education-learning/learning-world/south-korean-education

7. Antoine Prost (Page consultée le 8 septembre 2009). « Une catastrophe est en marche » [En Ligne]. Adresse URL: http://www.apelasource.org/IMG/pdf/tribune_antoine_prost.pdf