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Cheikhs, chèques, chic (II)

par Ahmed Saïfi Benziane

«Tu as beau laver la rouille, elle ne deviendra pas blanche.» «Un bâton a toujours deux bouts.»

(Proverbes soufis)



Dans cette façon rétrograde d'attribuer à une confrérie religieuse un rôle paradoxalement avant-gardiste, il y a quelques interrogations qui méritent un sérieux débat, où la psychanalyse autant que l'anthropologie sociale doivent être mises à contribution. Un débat qui doit reprendre et surtout recentrer le rôle de l'Etat, dans un processus de reconstruction d'une nation sortie d'une guerre de libération avec ses conflits, ses clans, ses attributs, ses forces et ses faiblesses, ainsi que ses zaouïas. Et ce n'est certainement pas une zaouïa aussi soutenue soit-elle, aussi mobilisatrice de fonds et généreuse avec ceux qui la soutiennent d'une manière ou d'une autre, qui va ouvrir ce débat. Faute de quoi peut s'installer la confusion des rôles. Faute de quoi on peut être amené à manger dans les toilettes et faire ses besoins dans la cuisine selon une formule chère à un défunt ami qui savait de quoi il parlait, lui.

 Il est vrai que l'Islam pose problème à l'échelle planétaire particulièrement depuis que les courants djihadistes sont passés à l'action violente, puisant de plus en plus de troupes dans les milieux pauvres et dans l'exclusion sociale, la misère. Mais la solution est-elle dans les grandes rencontres internationales, en se vantant de pouvoir rassembler des milliers de personnes dans une ville sinistrée du point de vue des capacités d'accueil et autres infrastructures. Il est vrai que l'on peut se placer au-dessus des gueux et se positionner en donneur de leçon à leur triste mendicité, mais comme disait un célèbre mort pour l'Algérie «si vous êtes propres c'est grâce à nous, si nous sommes sales c'est à cause de vous». Aussi, défendre une idée, une appartenance tribale ou même idéologique, loin du « collage » à la question et en gardant la distance nécessaire qui permet de faire les différences, est à l'honneur du défenseur, tant qu'elle ne met pas en péril la chose défendue.

 Mais dès que les échecs, nombreux d'ailleurs et liés principalement à une mégalomanie naturelle et exaspérante commencent à rejeter la faute sur cet Autre plutôt que sur son Soi, cela dénote d'un manque d'honnêteté. Tout simplement. Même si l'on est en désaccord avec le HCI pour différentes raisons, et elles sont nombreuses, il faut reconnaître que sa position quant à l'ouvrage « scotché » du cheikh actuelle de la zaouïa El-Alâwiyya qui a réussi son coup médiatique avec la représentation du Prophète de l'Islam, est fondée du point de vue de l'interprétation sunnite. Et nous sommes dans un pays à variante sunnite de l'Islam. Ou alors il faut ouvrir un débat dans le débat. Sereinement et sans pression, ni tricherie. Quant à attribuer à Bouteflika le savon passé au cheikh Bouamrane et qui reste à vérifier, loin de l'approuver, il y a lieu de s'en offusquer. C'est comme on dit un « cliché » de journaux. Et cheikh Bouamrane n'est pas n'importe qui. Par ailleurs, en dehors de l'amitié dont peuvent se prétendre beaucoup de nombreuses personnes concernant le Recteur de Mostaganem et en dehors des « clichés » de journaux justement, qui a eu la curiosité d'aller chercher quelques explications sur ce qui s'est passé ? Et d'abord que s'est-il passé au point où le cheikh de cette zaouïa dite internationale aille raconter à qui veut bien l'entendre que le Recteur n'a pas assisté à son colloque, ce qui est complètement faux. Toute la direction de l'Université Ben Badis était présente à l'ouverture du colloque et les doyens ont été placés au fond de la salle, pendant que pour le Recteur on a tant bien que mal trouvé une place au premier rang. Dans sa propre Université. Quel est le Recteur qui accepterait une telle situation d'autant que dans le discours inaugural aucun mot de remerciement n'a été prononcé à l'encontre de l'Université qui a abrité le colloque.

 Le soufisme en VIP dont on veut parler aujourd'hui se traduit par des actes de sagesse et de sérénité et non pas par des attaques contres les enfants de ce pays qui assument leurs charges de la manière la plus correcte et la plus honnête possible. Se tromper d'ennemi ou d'ami peut parfois être cruel, pire, irréversible. On peut perdre une guerre, une image, une notoriété, le sens des choses, du seul fait de cette erreur. On peut se perdre par aveuglement ou par petits calculs qui voilent le chemin restant à parcourir. Se tromper d'analyse au profit d'une implication à une cause ou par simple intérêt invisible à la nudité de l'oeil peut se retourner contre cette cause et les bénéfices attendus se traduisent inévitablement par une perte. La perte de l'âme d'abord. Celle qu'aucun prix ne peut en donner la valeur. Aussi faut-il rechercher la vérité dans une démarche pragmatique qui consiste à « déconstruire », une masse d'informations, un phénomène pour en étudier les fragments qui le composent un à un. Puis, une fois assuré qu'il ne manque aucune pièce au puzzle et prenant appui sur sa seule conscience et son honnêteté, on peut commencer le travail de recomposition. Honnêtement. L'important c'est de revenir vers le rôle de l'institution et son importance pour les grands équilibres sociaux. C'est de dire que même si les zaouïas font partie de notre patrimoine culturel et spirituel, nous avons le devoir de les associés à la compréhension de notre société mais n'oublions pas que c'est à l'Université que revient la charge d'éclairer les zones d'ombre pour peu qu'elles soient considérées comme des éclaireurs. L'argent et l'influence peuvent s'évaporer, seul le travail de fond reste.