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Le bateau ivre

par Abdou B.

«Il y a des sottises bien habillées comme il y a des sots très bien vêtus». Chamfort

 

A quelques jours du Ramadhan, en pleine canicule, l'Algérie tangue au gré des rumeurs, de contradictoires déclarations et d'une loi des finances complémentaire qui donne le tournis aux entreprises, aux banques, même si elles sont privées, à force d'improvisations en zigzag, donc simplement incompréhensibles car non réfléchies.

 Tel un bateau ivre, le pays navigue toujours dans l'attente, dans une transition décrétée infinie qui va accoucher d'un week-end taillé sur mesure pour chaque secteur, chaque corporation, chaque individu, chaque domaine d'activité. Ce sera une forme d'autogestion de la sphère publique, de l'enseignement, du religieux, de la presse qui dépend de l'imprimeur, du diffuseur et de l'appel à la prière, etc.

 De nombreux partenaires de l'Algérie, les pays les plus développés et leur système bancaire continueront à se reposer les samedi-dimanche en essayant de décrypter le ou les caps que vont indiquer les passagers du bateau Algérie et l'équipage parmi lequel chacun à sa petite idée pour ne pas subir une fetwa du clergé officiel ou des islamistes, maîtres absolus du comportement de la société. Un bateau ivre moins la beauté du poème !

 Des pays musulmans dits «frères» (en vertu de quoi ?) balisent au loin un cap chaotique où le superficiel le moins important fait débat. Le pantalon porté par une femme est-il licite ? Cette question centrale et stratégique pour la fabrication d'un moteur de mobylette arabo-musulmane taraude les esprits des clergés dans beaucoup de pays musulmans, car elle indétermine le moteur du développement, de la recherche scientifique et éventuellement des voyages dans l'espace. Une femme musulmane dans l'espace aura-t-elle le droit de porter la même combinaison que son collègue japonais ou bien portera-t-elle une burka ou un tchador ? La réponse des clergés officiels et celle des terroristes peuvent modifier l'avenir des déplacements vers la lune, jugés il y a quelques décennies impossibles car «la yadjouz». Et pourtant «djaz», comme dirait le supplicié de l'inquisition.

 En attendant «la rentrée» ou la fin du Ramadhan, à supposer que les pays qui avancent trop vite (toujours pressés ces mécréants qui n'attendent même pas le verdict pour l'histoire du pantalon) attendent notre «rentrée», les organisations patronales, en Algérie, n'hésitent pas à parler de la paralysie du pays au moment même où l'exécutif sue sang et eau pour tailler un week-end pour chaque citoyen, tout en faisant plaisir aux gardiens de nos consciences, de la mode vestimentaire et alimentaire pour la «rentrée» justement. Pour les aliments, ce sera comme le Ramadhan précédent : tout flambe déjà et flambera et personne ne se soucie du contrôle de qualité et des avancées dans le monde de la grippe du cochon, cet animal maudit mais qui traverse les frontières déguisé en virus. Saleté d'animal !

 De nombreux experts nationaux ne cessent de casser sans répit le câble de toutes les sonnettes d'alarme quant à la gestion de l'économie nationale, des IDE, de l'après-pétrole et du parti unique. Rien à faire ! Le gouvernement, qui anticipe sur tout, qui sait tout sur tout et partout, entend nous guider malgré nous vers le bonheur intégral, donner des directives aux banques privées (les nationaliser serait peut-être plus clair, plus rapide pour uniformiser tout le système), aux entreprises (le retour au SGT et au socialisme serait préférable) et aux citoyens pour consommer selon ses désirs, sans réduire le train de vie de l'Etat. La dernière L.F.C. est lue de différentes manières car il y a parallèlement des décrets, des circulaires, des injonctions toujours en vigueur. Les partenaires algériens qui doivent entrer dans le capital des sociétés étrangères seront choisis par qui et selon quels critères la Banque d'Algérie va les adouber ? S'il s'agit d'un plan de rigueur qui ne frappera que les résidus des couches moyennes, le mieux serait que les partis de la majorité montent au front pour mobiliser et expliquer que ce n'est qu'un sale moment à passer. Mais cela reviendrait à faire de la politique, sachant que les directions de ces partis ne passent pas par le suffrage universel qui légitime un élu.

 Alors que l'UGTA garde le silence (en attendant sans doute la fameuse «rentrée»), le patronat s'estime floué, sinon trahi. Une minorité de fonctionnaires, les plus hauts salaires semblent relativement favorisés face aux autres salariés, la majorité, qui rejoint les plus démunis. Les gens riches, les blanchisseurs, les patrons de journaux qui ne vendent pas, ceux qui roulent en 4x4 fakhfakha ne sont nullement concernés, ni par la L.F.C. ni par la flambée des prix. Et parmi eux, certains feront partie des Algériens candidats aux 30% à mettre dans le capital d'entreprises étrangères, dans n'importe quelle devise.

 En attendant la rentrée, les visages hideux du racisme, de l'intolérance sous toutes ses formes, de la harga, du suicide, du terrorisme le plus abject se propagent tranquillement. La chasse aux Chinois, bientôt première puissance mondiale, aux prochains «mangeurs» de Ramadhan, à la parabole et au climatiseur, aux chanteurs de raï se développe progressivement dans un pays où le tourisme relève de l'imprudente utopie et où un livre avec des gravures devient un alibi pour renforcer la rente du clergé officiel, incapable d'organiser le dixième (en qualité) d'une manifestation internationale.

 Dormez, braves gens : si le bateau est ivre, Sonatrach, pour encore un temps compté, veille sur vous. Mais que les gardiens se rassurent, le bateau carbure au pétrole et non au scotch.