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Ramadan, le grand alibi

par Abdou B.

«Une forme d'expression établie est aussi une forme d'oppression».

Ionesco



La formule est consacrée, institutionnalisée et même nationalisée ! Le service public, les secteurs privés, les administrations centrales, décentralisées ou délocalisées l'ont adopté depuis des décennies et des décennies. Sous le socialisme qui a failli triompher avec l'économie de marché centralisée, le patriotisme économique un jour oui un jour non et le troisième presque, la formule est indétrônable, impérissable et fait fonction d'une idéologie dominante et de politique intouchable durant un mois entier. Sans rougir, sans ancune pudeur, un patron du privé, un haut responsable, un père de famille lambda au pouvoir d'achat limité et une famille nombreuse, un chef de service à l'hôpital ou à la poste, un dirigeant de banque, tous et tant d'autres psalmodient le rituel. Ce dernier est socialisé, sacralisé, affiché au fronton de la République, au-dessus des lois et règlements, des relations de travail, ne connaissant ni urgence ni la satisfaction du travail bien fait dans les délais librement consentis ou imposés par un contrat, une convention ou la parole donnée. Personne, quels que soient son rang, la complexité de ses responsabilités, le nombre de personnes qui risquent d'être pénalisées ne peut transgresser une formule érigée en dogme indépassable. «Après le Ramadan». La sentence, une fois prononcée, ne peut être remise en cause, discutée, amendée, négociée ou annulée. Elle est collective, consensuelle sans fausse note. Elle scande la vie du pays, des individus, des familles. Elle est énoncée, assenée trente ou quarante jours avant la date fatidique. On prépare à l'avance ses effets, on planifie scrupuleusement les retards auxquels il faut ajouter l'Aïd, surtout s'il tombe un mercredi pour faire un «pont» celui de la prolongation que l'on espère en scrutant avec soin le calendrier, bien avant les scrutateurs du ciel et les savantes analyses pour savoir ce que feront l'Arabie saoudite, gardienne du temple, l'Egypte, la Lybie ou le Maroc. L'incantation «après le Ramadan» doit prendre en charge la géopolitique, le niveau des importations d'aliments, de produits sucrés générateurs d'obésité, de caries dentaires de dépenses inutiles et souvent de dettes... La genèse de la formule n'a pas suscité de recherches ou une exploration pour remonter le temps, savoir comment les choses se passaient au début de l'Islam pour le travail, les relations familiales, la pratique du jeûn etc. Aussi longtemps en arrière que la mémoire le permet, la formule «après le Ramadan» a accompagné les générations. Fatalité ou code convenu selon un rythme de vie et de travail considéré «oriental», fainéant, indifférent au temps et à son prix inestimable dans les sociétés développées, elle pèse sur toute la société. Au début de cette semaine, une institution sportive annonçait non pas une date, pour tenir des élections, mais évasivement pour l'après-Ramadan, élastique, peu contraignant. Ce qui renforce un ancrage, même au sein d'institutions, celui de la désinvolte avec le temps que les grands pays ne gaspillent jamais, en dehors de vacances méritées, planifiées du sommet à la base, avec des centaines de TGV programmés, des plans de circulation et une prévention routière ad hoc pour que personne ne perde du temps pour recharger sa force de travail, se reposer, se cultiver et retrouver la famille.

«Après le Ramadan» ne donne lieu à aucun bilan chiffré en matière d'heures de travail perdues, au niveau du gonflement des importations, de la dépense en énergie (carburant «nocturne», électricité, eau) de retards accumulés.. Pour un travail de pédagogie mené dans l'entreprise, les administrations, les mosquées, les formations politiques et syndicales, dès l'école, les objectifs sont nombreux et forcément rentables. Une bonne hygiène de vie, lutte contre les gaspillages, le respect du travail et du client, les devoirs d'un bon musulman devant tous ses engagements et obligations, la qualité et la quantité du sommeil, rendement pendant les heures de travail, tous ces paramètres, en temps normal, méritent réflexion et décisions avant et pendant le Ramadan.

 Si les vacances sont sacrées, elles ont été instituées après des décennies de luttes ouvrières et syndicales parce que le travail et le capital y trouvent, selon des degrés différents, leur compte. D'abord, l'être humain, qu'il soit haut responsable ou simple bénéficiaire du plus petit salaire, a besoin de repos physique et intellectuel. Il n'est efficace, concentré, utile dans son travail, pour la société et sa famille que s'il obtient et gère comme il faut toutes les séquences de sa vie durant l'année. Le temps consacré au travail, celui réservé aux vacances, au Ramadan, à ses proches vont créer un ensemble cohérent au bénéfice de l'entreprise, du ministère, d'une administration, d'un service public dont les rendements fabriquent une économie, de la stabilité, la paix, la joie de vivre, du beau etc. Un responsable sous la pression, qui ne connaît pas la période de ses vacances sa durée, est perturbé, inefficace, nuisible à sa famille et à ses responsabilités.

 Il faudra donc attendre l'après-Ramadan, pour que le pays fasse les bilans de l'été. On saura les contrats signés durant le Panaf pour qu'à la rentrée des troupes de théâtre, des ballets, des groupes de musiques d'Afrique soient programmés à travers le pays pour 2009-2010. On saura après le Ramadan, suite à l'heureuse initiative qui a rassemblé des cinéastes africains dans un colloque à l'Aurassi, le montant initial versé par les Etats africains dans une caisse commune pour faire des films. On saura aussi les contrats signés pour des co-productions entre les T.V d'Afrique, ne serait-ce que pour des documentaires apolitiques sur la faune et la flore du continent, et la liste des émissions TV, des variétés achetées par les chaînes africaines, après avoir réglé le problème de la langue, du doublage, des droits d'auteur etc. Mais, tout cela ne peut se faire et rendu public qu'après le Ramadan.