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La malédiction du mandat de trop : Crise au Niger et au Honduras, en raison de désaccords sur le troisième mandat

par Abed Charef

Le Président du Honduras, M. Manuel Zelaya, a été démis de ses fonctions et expulsé de son pays vers le Costa-Rica, à la suite d'un conflit avec l'armée.

Le différend, qui a connu son épilogue cette semaine, portait sur la volonté du président Zelaya d'amender la Constitution pour briguer un nouveau mandat, alors que la hiérarchie de l'armée y est hostile. M. Zelaya est un président de gauche, populiste, et même populaire, dans le style Hugo Chavez. Il était engagé dans une partie de bras de fer avec une armée plutôt conservatrice, dans la tradition des armées latino-américaines. Celle-ci voulait s'en tenir à la lettre de la Constitution qui, comme au Mexique, limite le nombre de mandats présidentiels à un seul. M. Zelaya n'est ni le premier ni le dernier chef d'Etat qui, une fois arrivé au pouvoir, parfois de manière démocratique, estime que son maintien au pouvoir est la seule option viable pour son pays. Bien au contraire, la liste de ces hommes convaincus d'être des messies est très longue, et elle a tendance à s'allonger ces dernières années.

Juste avant le Honduras, c'était le Niger qui a vécu le même scénario. A Niamey, le président Mamadou Tandja a, lui aussi, tenté d'amender la Constitution pour se faire réélire à la présidence.

Elu en 1999 et réélu en 2004, il devait théoriquement quitter le pouvoir à la fin de l'année en cours. Il a tenté diverses manoeuvres pour faire avaliser sa démarche, mais aucun partenaire n'a accepté de jouer le jeu. Le Parlement, qui refusait les choix du président Tandja, a été dissous. La Cour constitutionnelle, équivalent du Conseil constitutionnel, à son tour, a refusé d'avaliser l'idée d'un référendum pour changer la Constitution. Le chef de l'Etat du Niger a décidé alors de passer outre, et de recourir à des moyens non constitutionnels. L'opposition, qui a montré une étonnante vitalité, a crié au coup d'Etat, et affirmé que le chef de l'Etat a perdu «toute légitimité morale et politique».

Ces difficultés que doivent subir les présidents du Honduras et du Niger n'ont pas constitué des obstacles infranchissables pour le chef de l'Etat du Venezuela, Hugo Chavez. Elles avaient constitué à peine une formalité pour le président Abdelaziz Bouteflika. M. Hugo Chavez avait réussi à imposer ses choix malgré une opposition virulente. M. Bouteflika s'est contenté de faire fonctionner des institutions amorphes.

Cette volonté de respecter un formalisme constitutionnel sans contenu réel tranche avec le comportement traditionnel des dirigeants du Tiers-Monde. Il résulte, en fait, d'une pratique introduite il y a une vingtaine d'années, sous la pression occidentale. Les grandes puissances étaient à l'époque confrontées à l'hostilité d'un certain nombre de pays autoritaires ou menant des politiques indépendantes (Irak, Iran, Cuba, Zimbabwe, etc.) Pousser, à cette époque, ces régimes autoritaires à limiter, au moins dans le temps, leur pouvoir, pouvait constituer un moyen d'imposer une alternance de personnes, à défaut d'une alternance de programmes et de projets.

Le modèle américain, avec une limitation à deux mandats, a été pris comme modèle.

Mais on aura remarqué que même dans les pays démocratiques où il n'y a pas limitation de mandats, comme en France, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, peu de dirigeants s'aventurent à aller au-delà de deux mandats, à la fois pour échapper à l'usure et pour permettre un renouvellement de l'élite et des idées politiques.

Une fois imposée aux pays du Sud, cette règle de la limitation des mandats a débouché sur des conséquences inattendues.

D'une part, la répétition des élections, même formelles, pouvait finalement déboucher sur l'émergence de régimes crédibles, populaires, ayant une véritable assisse démocratique, des régimes qui risquent de remettre en cause des intérêts, souvent illégitimes, des pays occidentaux. Hugo Chavez, Evo Morales, Manuel Zelaya, sont tous issus d'élections crédibles.

D'autre part, les pays occidentaux, engagés dans une compétition pour le contrôle des sources d'énergie, ont réalisé de gigantesques investissements dans certains pays du Tiers-Monde durant les deux dernières décennies. Prospection pétrolière, gazoducs et oléoducs de plusieurs milliers de kilomètres, mines d'uranium, constituent des investissements à la fois coûteux et stratégiques.

Leur contrôle devient primordial. Pour les pays occidentaux, ces investissements ne peuvent être soumis à un hasardeux résultat des urnes, dans des pays aussi fragiles que le Niger.

Il leur faut donc une stabilité sur le long terme. Le sociologue Daho Djerbal, qui a engagé une recherche sur le sujet, affirme ainsi que les pays occidentaux ont besoin de régimes « corrompus et fragiles, pour agir à leur guise ». Ils ont donc tout intérêt à ce que les pouvoirs en place, faibles et dépendants, soient maintenus.

Le Niger en offre un bel exemple. Le président français Nicolas Sarkozy a décidé de jouer à fond la carte du nucléaire.

Areva, leader mondial du secteur, a besoin de contrôler les réserves d'uranium du Niger pour maintenir sa position. Ces ambitions françaises voient d'un très mauvais oeil l'éventualité d'un changement de pouvoir à Niamey, un nouveau pouvoir risquant de vouloir renégocier les contrats actuels pour aller vers des accords plus bénéfiques pour le Niger. Ou de traiter carrément avec d'autres partenaires, plus compréhensifs, comme la Chine. Tout compte fait, pour Areva comme pour la France, il est donc préférable de maintenir le président actuel, qui a déjà fait ses preuves. Ceci explique le silence français envers ce qui se passe à Niamey. Et explique aussi le revirement des pays occidentaux de manière générale, pour qui un pouvoir autoritaire et durable est préférable à une démocratie hypothétique. Par ailleurs, on peut noter que les pays où la limitation des mandats n'a pas cours sont souvent en déchéance politique, comme c'est le cas du Zimbabwe, de la Libye ou de la Corée du Nord. A l'inverse, les pays qui ont réussi une percée économique ces dernières années sont ceux qui sont restés attachés à la lettre et à l'esprit de la Constitution, quand la limitation de mandats existe. C'est notamment le cas de l'Afrique du Sud et du Brésil.