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Faut-il si peu pour redonner de l'espoir ?

par Farouk Zahi

Dimanche 7 juin 2009. Dans une ville moyenne présaharienne des Hauts Plateaux, une dizaine de jeunes en pleine effervescence installe un décor de projection dans l'immense cour d'une maison particulière.

Une table, une source électrique, un téléviseur, un data show et un immense écran blanc arrimé solidement par des cordes à deux murs parallèles, constituent l'arsenal festif. Les chaises seront ramenées, un peu plus tard, du café voisin, La retransmission du match Algérie-Egypte se fera grandeur nature. Le jeune Mustapha, maître des lieux, se substituait gracieusement ainsi, à la Collectivité locale supposée jouer ce rôle. Ingénieux, ces jeunes ont pris leur souci du jour à bras le corps ; mais pourront-ils toujours surmonter d'autres écueils ? Et c'est, en principe, à partir de ce genre d'initiative que la machine administrative doit s'ébrouer pour ouvrir larges, les champs de l'animation culturelle et des loisirs. Il est plus que permis maintenant, avec les moyens technologiques actuels, d'innover même dans les coins les plus reculés du territoire. Electrifié à près de 95 %, le pays ne doit plus avoir de zones silencieuses ou enclavées médiatiquement. Le millier de communes rurales que doit compter le pays est capable d'acquérir de pareils équipements dont le coût global, ne dépasserait guère les 100.000 da. La précipitation effrénée dans l'acquisition de véhicules de liaison, doux euphémisme pour désigner les confortables véhicules de tourisme et le mobilier de bureau, ne souffre d'aucune insuffisance budgétaire. Les espaces ne manquent pas dans ces immensités. L'été est là, si pour le Nord la mer et les soirées musicales égayent le quotidien, il n'en est malheureusement pas de même pour les profondeurs où l'ennui et la platitude, ajoutés à la canicule ambiante, viennent à bout des tempéraments les plus stoïques. L'austérité infligée aux rêveries juvéniles, n'aura d'autre issue que la dépravation morale induite par le cauchemar psychédélique de la toxicomanie ou de la beuverie. La thérapie ne sera qu'aléatoire dans ce cas, pour ne pas dire désespérante.

Il n'a fallu que deux matchs internationaux pour rendre à cette multitude, son exubérance joyeuse ! Flanqués de l'emblème national, ces jeunes et ces enfants à peine sortis du landau, en liesse fiévreuse, nous donnaient une leçon de patriotisme ? à leur manière certes, mais néanmoins viscéral. La démonstration de joie souvent démesurée, mortelle parfois, ne peut que renseigner sur cet excès d'énergie mal canalisé ou pas du tout. Bravant des dangers certains, faits d'adultes inconscients, tel ce conducteur de camion qui fit actionner sa benne pour faire débarquer ses passagers momentanés ou ces fous du volant qui font slalomer leur véhicule en pleine foule. Notre pensée va à cette fillette sur son balcon qui, dans une tentative de rattraper un drapeau, a chuté mortellement dans le vide. Cette photo de presse mémorable, qui montrait un groupe de jeunes prosternés sur un étendard déployé à même le sol, ne pouvait nous laisser que béatement groggy. Le message est on ne peut plus clair. Le chantre arabe ne disait-il pas : « Biladi azizatoun ou laou jarat aylaya? » ( Ma patrie m'est chère, même si elle m'a opprimé ». Stigmatisée, prise entre l'attache territoriale et l'évasion maritime, une partie de la jeunesse qui croit être laissée pour compte doit, sans nul doute, se débattre dans un dilemme kafkaïen. Mystifiée par des discours lénifiants, elle perd peu à peu pied. N'avons-nous pas souvent entendu des jeunes pester sur le pays et traiter les responsables de qualificatifs peu glorifiants ? Cet étalage expressif juvénile qui touche, aussi bien les gros centres urbains que la ruralité profonde, laisse rêveur. Ce peut-il qu'une charge émotionnelle soit aussi prégnante que massive? Il n'est pas évident que tous ces jeunes soient férus de football et supporters d'une quelconque équipe ; l'équipe nationale prend par contre une autre connotation. Celle de l'appartenance. Ils doivent se dire en leur for intérieur : « Voici dont sommes-nous capables ! ». Les imminentes manifestations du 2è Panafricain ne devraient-elles pas constituer le début d'une nouvelle approche dans le désenclavement culturel ? Tous les espaces communs : places publiques, stades, cours de cités et d'école sont éligibles à des activités récréatives ramenées d'ailleurs ou du cru. Le kiosque à musique d'antan n'a inspiré que peu d'édiles. Le cinéma de plein air est inscrit dans le registre de la nostalgie. Même le « médah » n'a plus ni souk, ni auditoire. Il n'existe plus !

Il nous faut et au plus vite débureaucratiser les complexes de proximité et les doter d'une autonomie d'intervention extra-muros. Leur implantation dans des sites urbains ou administratifs leur fait souvent perdre la mission de proximité. Ils ne desservent généralement que l'aire qui les abrite. Leur dotation d'un véhicule utilitaire pour des activités itinérantes peut, dans une large mesure, brasser large et toucher les tranches en privation culturelle ou sportive. Il n'est nul besoin de matico pour le cross, le cyclisme ou les jeux de plein air. Ne faut-il pas quitter les sentiers battus du ronronnement administratif pour confier courageusement ces structures, à la gestion des jeunes eux-mêmes sous forme de conseils d'administration ou d'orientation ? L'intitulé importera peu, la germination des idées et les besoins à satisfaire ne peuvent être, dans ce cas, que pertinents. Infantilisés à l'infini, il ne peut être attendu rien de bon de jeunes démis de leur devenir immédiat et lointain.

De la ressource, ils en ont à revendre. Leurs aînés, à leur âge, ont bien rêvé d'émancipation nationale. Ils ont constitué des réseaux clandestins au départ pour ensuite affirmer haut et fort, leur volonté de se libérer de la chape coloniale. Ils auront réussi, mais risquent de perdre le crédit de leur descendance s'ils ne passent pas le relais. L'autisme fait probablement rêver en rose.