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Politique étrangère: Obama rebat rapidement la donne

par Pierre Morville

Avec intelligence et courage, le président des USA fait des propositions hardies et novatrices; mais il pense d'abord aux intérêts de son pays.

Barack Obama a beaucoup voyagé ces derniers jours, du Caire aux plages normandes, en passant par l'Allemagne. Tous les discours prononcés par le président américain n'ont pas la même portée stratégique. Les propos tenus devant la faculté du Caire le 4 juin ont une dimension tout à fait considérable. Certes, Barack «Hussein» Obama a d'abord voulu séduire l'auditoire arabo-musulman. En rappelant son ascendance musulmane, en citant le Coran, en magnifiant la richesse de la culture islamique, il a rompu nettement avec le discours méprisant de ses prédécesseurs. Les perspectives qu'il a dessinées ont suscité la sympathie et l'intérêt des populations et des chefs d'Etat concernés.



Le Caire, discours historique



Bien sûr, ce nouveau départ de la politique américaine devra être concrétisé par des faits tangibles. Hasard du calendrier, deux élections ont eu ou vont avoir lieu dans la grande région. Au Liban, dimanche dernier, la coalition menée par le Hezbollah, pourtant donnée gagnante, a perdu les législatives au profit des partis plus traditionnellement pro-occidentaux. Le 12 juin prochain, les Iraniens vont élire le président de la République islamique, second personnage de l'Etat après le «guide spirituel», Ali Khamenei. Donné vainqueur jusqu'à présent, l'actuel titulaire du poste, Mahmoud Ahmadinejad, doit faire face à un opposant en pleine ascension, Mir Hossein Moussavi, candidat réformiste et novateur.

Ce dernier a lors d'un débat télévisé durement critiqué son challenger: «Depuis votre élection, les Iranienssont humiliés» par la politique étrangère «extrémiste» menée par Ahmadinejad, «vos propos sur l'Holocauste n'ont fait que servir Israël», lui servant de prétexte à l'invasion de Gaza.

Même Damas souhaite la réconciliation avec les Américains. Hasard du calendrier ou premiers effets de l'inflexion de la politique américaine dans la grande région? On ne peut encore le dire mais il flotte comme un air de renouveau alors que le Moyen-Orient était englué depuis de nombreuses décennies dans un profond pessimisme. La «rupture» proposée par Barack Obama n'est pas exclusive de grandes continuités. Trois problèmes récurrents ont été abordés par le président américain. Afghanistan/Pakistan. La continuité a largement dominé. Obama a fortement réaffirmé la volonté américainede lutter contre le terrorisme. Seule inflexion, ce phénomène n'est plus assimilé unilatéralement à l'existence «d'Etats voyous». De même, le président américain a souligné les limites des offensives militaires sur l'Afghanistan si elles n'étaient compensées par une forte aide économique. Ce faisant, la Maison-Blanche ne pouvait que reconnaître l'impasse dans laquelle se trouve l'armée américaine aussi bien en Afghanistan, aux frontières du Pakistan et même en Irak, un sujet sur lequel le Président ne s'est guère étendu. Enfin, une forte augmentation de l'aide économique n'est guère crédible dans cette période de récession économique mondiale.



Main tendue à l'Iran



Iran. Le renouveau de la politique étrangère sur ce sujet est patent. Loin des déclarations guerrières de George Bush, Barack Obama propose une main tendue au pouvoir iranien. La Maison-Blanche propose certes une politique de coopération et de dialogue «à durée déterminée», période qui serait close en janvier 2010, si rien ne changeait sur le dossier du nucléaire militaire iranien. Mais même sur ce sujet, la position américaine semble pouvoir aller jusqu'à accepter une proposition «à la japonaise». Le Japon, en effet, ne possède pas d'armes nucléaires mais il a à sa disposition tous les moyens techniques ou tous les vecteurs nécessaires pour construire un arsenal nucléaire en quelques semaines, voire en quelques jours, si son intégrité territoriale était menacée. Fait symbolique significatif, Barack Obama, dans son discours du Caire, a reconnu que les USA avaient organisé et participé à la chute en 1953 - acte de forfaiture dans les relations internationales - du gouvernement du président iranien Mossadegh pourtant démocratiquement élu. Cette «excuse» publique est un acte politique d'une grande importance. De l'Indonésie, à l'Argentine en passant par le Brésil et le Chili, la CIA a été en effet l'opératrice de putschs militaires qui dans la seconde moitié du XXe siècle ont renversé des régimes démocratiquement élus pour les remplacer par des autocraties comme le régime du Shah en Iran ou par des dictatures.

Israël/Palestine: c'est sur ce dossier que l'inflexion de la politique américaine est la plus sensible et, quelque part, la plus surprenante. Depuis la guerre de 1967, le Pentagone et la Maison-Blanche avaient décidé un partenariat militaire et politique israélo-américain qui avait la primauté sur tout le reste de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. Toutes les décisions israéliennes étaient soutenues, les pires, l'objet de vagues réprobations sans lendemain. L'aide financière et militaire à l'Etat hébreu ne rencontrait aucune limite. En réaffirmant avec solennité la nécessite des deux Etats, l'arrêt immédiat des colonisations, le retour aux frontières de 1967 où s'y approchant, Barack Obama a pris de court un gouvernement israélien qui avait l'habitude depuis plus de 40 ans que Washington cède à tous ses caprices et couvre toutes ses exactions.



Le pouvoir israélien inquiet



Benyamin Netanyahou, convoqué il y a quelques semaines à la Maison Blanche, a peut-être enfin compris que la position américaine n'était pas que rhétorique de façade. Il a très peu de moyens pour tenter un bras de fer avec son puissant allié mais la coalition qu'il dirige actuellement, la pire formation d'extrême-droite de l'histoire de l'Etat hébreu, éclaterait immédiatement au moindre recul, surtout le démantèlement des colonies installées en Palestine. La position de Netanyahou est d'autant plus difficile qu'il a fait pendant plusieurs mois la sourde oreille aux conseils pressants d'amodiation de son programme par l'administration américaine. Jusqu'où iront les pressions de la Maison-Blanche sur Israël? L'avenir le dira. Mais il y a d'ores et déjà un second sujet important d'inquiétude pour le gouvernement israélien. L'armée israélienne sait déjà qu'elle peut remballer ses projets de raids aériens sur les installations nucléaires iraniennes, agression qui aurait mis le Moyen-Orient de nouveau à feu et à sang. Mais le piège tendu par Barack Obama est peut-être pire qu'il n'y apparaît. La Maison-Blanche souhaite qu'il n'y ait pas de bombes atomiques iraniennes mais prône en guise de garantie pour Téhéran et pour que la paix régionale s'installe, la dénucléarisation totale de tout le Moyen-Orient. Israël compris, hypothèse jusqu'il y à peu parfaitement invraisemblable pour le pouvoir hébreu. Les qualités économiques et morales de Barack Obama sont certainement pour beaucoup à ce nouveau cours de la politique étrangère américaine mais des raisons de fond plus prosaïques en sont le moteur. L'échec de l'«hyperpuissance» américaine avec la politique du «tout militaire» tentée par George Bush et l'effondrement fin 2008 de l'économie des USA ont amené l'administration à des positions beaucoup plus réalistes. «America first!», Washington reconsidère sa politique extérieure d'abord en fonction des intérêts stratégiques, militaires et économiques des Etats-Unis, dans les conditions du rapport de force actuel. La Chine devient le partenaire privilégié car l'économie américaine dépend d'elle; on sourit aux Russes parce qu'ils redeviennent des interlocuteurs stratégiques incontournables. Quant au reste du Monde, c'est selon les besoins...



Défense d'abord des intérêts américains



C'est peut-être un peu le sentiment des chefs d'Etat européens les plus lucides après les différents sommets (G20, Otan) et visites du nouveau président américain en Europe. Certes, les discours étaient chaleureux, les propos, généraux, les discours, convaincants. Mais passé le moment de sympathie cordiale, les positions américaines sont beaucoup plus crues. Barack Obama aime bien les Européens qui envoient des troupes en Afghanistan, qui intègrent l'Otan sous commandement US et qui ne contestent pas la primauté du dollar dans cette phase de récession alors que cette monnaie est en grande partie responsable de la même récession. A la veille de Barack Obama en Allemagne, Angela Merkel n'a pas manqué d'envoyer des critiques feutrées mais fielleuses sur la nouvelle «volonté de puissance» de l'administration américaine en matière de politique économique. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les relations Obama-Sarkozy sont diplomatiquement à peine «cordiales». Pour les cérémonies du débarquement du 6 juin 1944 en Normandie, Barack Obama a exploité la gaffe de Sarkozy qui avait imprudemment «oublié» d'inviter la Reine d'Angleterre, en réclamant formellement sa présence. Il a ensuite décliné une invitation à déjeuner à l'Elysée. Il a tancé le président français sur la question de l'adhésion de la Turquie à l'UE, ce qui n'était pas l'objet de la rencontre. Et, affreux affront, il a invité l'ex-président Chirac en visite officielle aux Etats-Unis (et non pas Sarkozy)!

Cet affaiblissement relatif de l'importance européenne aux yeux des Etats-Unis est certainement conforté par les hésitations actuelles de l'Union européennes. Les hommes politiques vantent à l'envi l'harmonisation réussie des mécanismes économes européens, ils saluent avec émotion la réussite de l'euro mais l'on voit bien, du fait de la récession, que les Etats européens pratiquent dans les faits une «renationalisation» des politiques industrielles et commerciales en vue de protéger plus efficacement les intérêts particuliers de leur propre pays. Une Europe à 27 apparaît dans les moments difficiles que la planète traverse, de plus en plus difficile à gouverner d'une seule voix.

 ans ce cadre un peu morose, la réélection du Parlement européen a suscité peu d'enthousiasme et de participation des électeurs européens. Et les résultats généraux entre les différents courants (large prééminence des courants conservateurs) n'ont été commentés que pour leurs conséquences locales dans les rapports de force gauche, droite, courant écologique, etc., de chaque pays et non pas dans leur dimension continentale.



France: douche écossaise pour le PS



Le paysage politique français a connu une petite secousse tellurique. Toute petite lorsque l'on sait que cette élection n'a recueilli que 40% de votants et que le sujet, l'Europe, est loin de passionner les Français. Mais tout de même!72 députés européens devaient être élus en France. Avec 14députés, le Parti socialiste connaît l'un de ses plus mauvais scores historiques. Le centriste Bayrou, qui rêvait d'incarner la synthèse de la gauche et de la droite, s'effondre avec 6 élus, juste deux de mieux que la gauche radicale (4 députés et 11% des voix). L'UMP qui rassemble tous les partis de droite triomphe avec 30 députés, mais elle représente moins 30% des voix sans disposer de réserves.

Le triomphateur du scrutin est Daniel Cohn-Bendit, vieille figure franco-allemande de Mai 1968 aujourd'hui anarcho-européano-libéral, qui a hissé le mouvement Vert à des sommets: 16,2% des voix et 14 députés, faisant résultat égal avec le PS! Ce dernier paye des années de bisbilles et concurrence acharnée entre ses principaux leaders, l'usure du modèle social-démocrate en Europe et la méfiance des salariés et plus généralement des actifs vis-à-vis des partis.