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Omar Bongo: vie et mort d'un émir africain

par K. Selim

Il était l'ultime représentant de la génération post-indépen-dance de dirigeants africains francophones. Il avait connu tous les présidents français de la Vè République et incarnait jusqu'à la caricature la françafrique, cette structure de relations opaques entre élites postcoloniales et certains milieux d'affaires et de pouvoir de l'ancienne métropole. Omar Bongo, 72 ans est mort dans une clinique catalane après 41 ans à la tête du Gabon, un petit pays pétrolier d'Afrique de l'Ouest, peuplé d'environ un million d'habitants. Comme les autres dirigeants installés et soutenus par la France, Bongo se sera considérablement enrichi et aura permis à son entourage de puiser sans limites dans les richesses du pays. La réalité gabonaise peut se résumer ainsi: 1 % de la population possède 90 % des ressources du pays. A sa mort, au terme d'un très long règne sans partage, le pays est dans l'état ou l'a trouvé l'ex-employé des postes de Libreville propulsé à la plus haute charge du pays. Selon le classement du PNUD, le pays a dégringolé de la 91è place à la 123è de cet indice de développement humain qui mesure le niveau d'éducation, de santé, de développement et de bien-être de la population. Pourtant, grâce aux matières premières - bois, minerais et surtout pétrole - les moyens n'ont pas manqué. Dans les années fastes, le Gabon a produit jusqu'à 370 000 barils par jour. Aujourd'hui, la manne pétrolière est en déclin, avec entre 200 000 et 250 000 barils par jour, essentiellement exploités par le groupe français Total qui a succédé à la sulfureuse compagnie Elf.



LE PARAPLUIE FRANÇAIS

 

La manne pétrolière n'a pas servi à créer des infrastructures ni à esquisser la moindre politique de développement. Une plainte déposée à Paris il y a quelques semaines visait le président défunt et deux autres chefs d'Etats africains, celui de la Guinée Equatoriale et du Congo-Brazzaville, pour ce que la presse a appelé «l'affaire des biens mal acquis». Des citoyens de ces pays appuyés par des ONG, dont Transparency International, demandent à ce que toute la lumière soit faite sur l'origine des fonds et les conditions d'achat d'un très important patrimoine en France. La réponse d'Omar Bongo a consisté en la mise sous les verrous de personnalités de la société civile gabonaise qui avait eu le courage de s'associer à la plainte.

Dernier des mohicans des dictateurs ayant émergé dans les années soixante, du maréchal Mobutu à l'Empereur Bokassa en passant par le général Eyadema, le président Bongo, dans une Afrique dévastée par des siècles de pillage et marquée à jamais par la saignée esclavagiste, n'aura été qu'une sorte d'émir médiéval sous protection française tout comme ses homologues du Golfe persique «inventés» par les Anglais. La longévité au pouvoir, largement due au parapluie militaire français, s'explique par une gouvernance mêlant corruption et répression à telle enseigne qu'il n'existe pas, en dépit d'un multipartisme de façade, d'opposition politique au sens commun de l'expression. Le soutien français à Omar Bongo, jamais démenti quel que soit le président en place, a commencé à la veille de l'indépendance, lorsque les services secrets recrutent un jeune employé des postes dynamique et intelligent. Celui qui s'appelait Albert-Bernard Bongo est aussitôt nommé chef de cabinet du premier président du pays, Léon M'ba, à qui il succède en 1967 à la mort de ce dernier.



ACTEUR DE LA VIE POLITIQUE PARISIENNE



Pièce maîtresse du dispositif politico-affairiste créé par Jacques Foccart, le président Bongo a joué un rôle majeur dans les manœuvres des services secrets sur le continent. Lors de la tentative de sécession de la province nigériane du Biafra, Libreville était la plaque tournante de la fourniture d'armements aux séparatistes dirigés par le général Ojukwu et c'est à partir de la capitale gabonaise qu'opérait «Médecins sans frontières», une ONG qui allait devenir très célèbre et dont l'un fondateurs, le docteur Bernard Kouchner, connaîtra une brillante carrière. Mais le président Bongo ne se contente pas du rôle de relais des ténébreuses stratégies de Jacques Foccart et de ses successeurs. Omar Bongo, converti à l'islam au lendemain de l'adhésion de son pays à l'OPEP, aimait dire que «Sans la France, le Gabon est une voiture sans chauffeur et sans le Gabon, la France est une voiture sans essence». C'est un acteur important de la vie politique parisienne. Le président Giscard d'Estaing vient ainsi de révéler que l'homme-lige de Libreville avait financé la campagne électorale de Jacques Chirac, son rival de l'époque. Pour les spécialistes de la françafrique, il ne fait aucun doute que le Gabon a «arrosé» la majorité des leaders politiques français de premier plan, de la gauche à l'extrême-droite. L'imbrication est si étroite que les tentatives de remise en cause de ce système par des dirigeants français lassés par le mélange des genres et le soutien automatique à des dictatures d'un autre âge se heurtent frontalement aux influences.



SUCCESSION DYNASTIQUE



Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération a été brutalement muté vers le secrétariat aux Anciens combattants pour avoir voulu «signer l'acte de décès de la françafrique». Jean-Pierre Cot, éphémère ministre de la Coopération en 1982 sous le socialiste François Mitterrand, avait eu la même idée. Elle avait été fatale à sa carrière.

La solidité du système, maintes fois éprouvée, est indiscutable. La question qui se pose aujourd'hui est bien sûr celle de la succession. Il est probable que, comme au Togo, une passation des commandes au fils du président défunt soit effectuée après une période de transition brève et une élection courue d'avance. Le dauphin putatif d'Omar Bongo, son fils Ali Ben Bongo, ministre de la Défense, semble être le candidat le plus probable. La continuité, selon le conseil du président ivoirien Laurent Gbagbo, un expert en la matière, semble être le mot d'ordre des arrangements en cours. Une succession dynastique parachèvera l'œuvre politique du président défunt. La République du Gabon confirmera ainsi le statut d'émirat qui correspond à sa réalité.