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Et si à Blida... ne plût à Dieu ?

par Farouk Zahi

Il vaut mieux ne pas y penser. Les Fennecs, ces lilliputiens, ont défait les Pharaons avec la «baraka» de Sidi El Kébir. Le commentateur de «Nile sports» a donné, à partir de Blida déjà, le ton en lançant prématurément quelques banderilles qui renseignaient sur le peu de crédit qu'on nous accordait. Le fer de lance des Pharaons était affublé du titre de Zidane «El Arab», comme si on pouvait faire une confusion entre les homonymes. Allusion malveillante et gratuite. Après avoir amèrement constaté l'inattendue et néanmoins méritée débâcle, le même commentateur qui ergotait,non sans suffisance, sur l'expérience des enfants du Nil, démentie d'ailleurs en live par la mièvre prestation de leur gardien de but, avance la théorie du «match-énigme». Il rappelle que le stade Mustapha Tchaker est réputé pour porter bonheur aux «verts»; stupide allusion sur une éventuelle pratique ésotérique typiquement africaine. Quant à l'assistance constituée d'experts au studio du Caire, celle-ci s'en est allée à de doctes analyses. Elle s'est ridiculisée par sa profonde méconnaissance de l'adversaire du jour. Et comme de tradition, l'emphase oratoire aidant, il ne s'est même pas agi d'une peau d'ours mais de plus petit... le fennec!

Le spectacle haut en couleur rappelait à la fois les défis relevés de 1975, en finale des Jeux méditerranéens face aux Francs et en 1982 à Gijon face aux Teutons. Les galeries générationnelles n'étaient pas les mêmes, bien évidemment et les ambitions aussi. A cette époque, on s'essayait à nous frotter aux grands du football, aujourd'hui, on voit moins grand. Beaucoup d'illusions ont fondu comme neige au soleil. Les temps ont bien changé, nos voisins ont évolué entre-temps et se paient souvent notre tête. Il s'agissait de se prouver à soi-même qu'on pouvait tenir tête au double champion d'Afrique. Cette Afrique que nous dominions sur tous les plans, du football à l'athlétisme et de la boxe au handball. Les splendeurs d'un glorieux passé sportif pas très lointain, ternies par les turbulences d'une décennie que d'aucuns qualifient de rouge ou de noire, c'est selon, sont-elles en résurgence ou spectrales pour n'être, en fin de compte, qu'un leurre?

Il nous faut tout de même reconnaître qu'à cette époque, le compter sur soi était la règle cardinale, le cru local constituait le gros des troupes. On découvrait avec ébahissement de preux chevaliers issus de quartiers populaires pour la plupart, tels que les Belloumi, Assad, Madjer et consorts. La hargne était de mise, même si le vis-à-vis était le plus fort. Ils y ont cru. Dans les pays industrialisés, le football est une entreprise économique, les clubs y sont cotés en bourse. La formation est érigée en culte, de véritables pépinières couvent les jeunes pousses. L'anticipation est de l'ordre décennal et parfois plus.

Les perspectives sont clairement tracées et ne souffrent d'aucun battement d'aile. Mais il demeure (le football), dans les pays sous-développés, n'ayons pas peur des mots, un spectacle dopant, il permetaux multitudes de transcender la grisaille quotidienne. Il titille pour certains, l'ego clanique ou tribal en entretenant encore des rivalités ataviques, transmises de génération en génération. Il arrive même, qu'à l'instar des arènes païennes, les joutes en deviennent sanglantes. A quelques exceptions près, il n'existe pas de nation footballistique qui ne soit pas une puissance économique. Les USA ont opté délibérément pour le base-ball, les pays de l'Océanie ont, quant à eux, choisi le rugby. D'autres pays pauvres de la Corne de l'Afrique, Kenya et Ethiopie, sont devenus des géants de la course de fond de par leur morphologie humaine dans une topographie géographique spécifique. Sans débauche financière et matérielle, ils atteignent toutes les cimes de la gloire et réunissent à eux deux, plus de palmarès que toute l'Afrique n'a pas réussi à récolter depuis son émancipation. Les performances des Boulmerka, Souakri, Morceli ont permis à ces individualités sportives nationales d'atteindre les plus hauts podiums internationaux, ceci pour l'illustration. Le relais n'a, malheureusement pas, été transmis, le jeu de mots est ici tout à fait fortuit. On continue de vivre sur les glorioles du passé en poussant de profonds soupirs de dépit. Maintenant que la tête sort de l'eau, il n'est pas permis de décevoir cette composante humaine, certes bigarrée encore, mais unie par le plus fabuleux parti politique post indépendance dénommé: Equipe nationale. Tous les avis des observateurs de la scène nationale sont unanimes pour dire, que la masse s'est rappropriée son emblème et son hymne national sans campagne ni meeting de sensibilisation. A présent que le sort en est jeté, cette périlleuse aventure repose sur les épaules d'un seul homme. Il était seul et bien seul tout au long des quarante-cinq premières minutes du mémorable match; tout aurait pu basculer pour le rendre l'homme honni de toute la communauté nationale. Imaginons un seul instant, le trou noir dans lequel aurait été plongé cet homme, si Shehata avait remporté cette première manche.

Comment aurait-il envisagé le retour à «Oum eddounia»? Conscient plus que tout autre de l'enjeu, cet homme, peu volubile, a vécu intensément l'événement qu'il en versa des larmes bien avant l'heure de vérité. Si tous les hommes de ce pays pleuraient leurs échecs, même consommés, les chouhada ne seraient pas tentés de revenirun jour !