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Pas de chance ! La politique monétaire sera absente du G 20

par Pierre Morville

Le sommet des 20 pays les plus puissants s'ouvre à Londres aujourd'hui. Mais on n'y parlera pas de ce qui pourrait fâcher...

Nicolas Sarkozy a menacé de «claquer la porte» du G 20? Poisson d'Avril !

Ah, non ? Ce n'était pas une plaisanterie ? Notre tonitruant président veut tellement exister qu'il en ridiculise son pays. Par communiqué.

Plus sérieusement, le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, s'est déclaré, le 13 mars, «inquiet de la sûreté» des actifs chinois. La Banque centrale chinoise a publié, le 23 mars, une déclaration visant à remettre en cause la suprématie du dollar. Le gouverneur de la Banque centrale chinoise, Zhou Xiaochuan, explique à juste raison que la crise a mis en évidence «les faiblesses inhérentes du système monétaire international actuel», et impose la nécessité d'avoir une monnaie de réserve internationale, calculée sur la base d'un panier de devises et placée sous le contrôle du Fonds monétaire international. Cette future monnaie sera «déconnectée des nations individuelles», de leurs enjeux intérieurs, et sera «capable de rester stable sur le long terme».

Dominique Strauss-Kahn, le patron du FMI, a jugé que «la discussion sur la nouvelle monnaie est absolument légitime ; elle aura probablement lieu dans les mois qui viennent».



Monnaie mondiale ou «Mondopoly» ?



Si l'idée venait à voir le jour, reste à trouver le nom de cette future monnaie mondiale qui vise explicitement à détrôner le dollar comme devise pivot et qui résulterait d'un calcul moyen des principales monnaies du monde : euro, yen, yuan et dollar. «Mondar» serait un peu provocateur, «Mondeuro» trop contradictoire, «Mondoyen», insuffisamment réaliste et «Mondoyuan» trop gentil pour les Chinois.

Non, à la réflexion, «Mondopoly» s'impose à l'évidence. D'autant qu'un très grand nombre d'adultes et d'enfants de la planète ont joué au Monopoly, ce vieux jeu qui consiste à faire fortune en spéculant sur l'immobilier et à ratisser le pognon de tous les partenaires.

Au-delà des problèmes de baptême, la proposition est loin d'être inutile. Le moteur et la tombe de la globalisation hyperlibéralisée furent et restent encore une surabondance sans précédent de liquidités monétaires sur la planète. Depuis les années 70, «l'industrie financière» traita l'argent comme une simple marchandise, séparant la monnaie «réelle», contrepartie en valeur de l'échange réel de marchandises ou de services réels, et la monnaie «virtuelle», simple circulation sans fin de capitaux non investis dans la sphère productive : l'argent crée l'argent. Mieux que le Père Noël !

C'est ainsi qu'il s'échange, chaque jour et chaque nuit, à toute heure et à toutes les minutes, 97% de capitaux virtuels sur la planète, alors que les échanges réels de marchandises et de services ne représentent plus que 3% de cette immense amas d'argent circulant. Sauf à être un fan de la littérature enfantine ou croire que Superman existe vraiment, le moindre commerçant de quartier, la moindre ménagère qui tient ses comptes, le moindre individu de bon sens se doutent bien qu'il y a anguille sous roche. Mais pendant des décennies, nos merveilleux banquiers, nos intelligents boursicoteurs, nos experts et nos gouvernants éclairés ont persuadé le bon peuple qu'ils avaient inventé la «loterie qui gagne toujours». Et il est vrai que pendant plus trois décennies, l'argent a ruisselé. Certes pas pour tout le monde. Mais la manne céleste tombait continuellement sur les spéculateurs.

L'un des principaux rouages de ce jeu de bonneteau mondial était et reste le placement sur les différentiels des taux de change. A chaque variation des monnaies, des milliards de dollars se déplacent instantanément pour passer du yen à l'euro, du yuan au dollar, tels des moustiques, qui, la minute d'après, repartent gorgés de sang et prêts à une nouvelle pompée. Stabiliser les changes en créant une monnaie mondiale est donc à la fois efficace et vertueux.



Relance sans réforme, réforme sans relance



Ne vous inquiétez pas (ou au contraire, selon vos revenus, continuez de paniquer !), cette solution ne sera pas proposée lors du Sommet du G 20, y compris par son initiateur, le gouvernement chinois, pourtant immédiatement suivi dans cette proposition par la Russie et de nombreux pays émergents. Comme l'a confirmé, avec le tact qu'on lui connaît, notre inénarrable président français, «Vous nous voyez discuter de la politique monétaire internationale avec les Argentins ou les Turcs ?», s'est-il récemment et diplomatiquement interrogé.

Mais ne prêtons pas trop d'influence à Nicolas Sarkozy : le front du refus est beaucoup plus large. «Le dollar est extraordinairement fort en ce moment (...). Les investisseurs considèrent que les Etats-Unis ont l'économie la plus forte du monde, avec le système politique le plus stable du monde», a ainsi immédiatement rétorqué Barack Obama.

De son côté, l'Union européenne n'a pas envie de fragiliser sa zone Euro.

«Les Américains et, dans une moindre mesure, les Britanniques, mettent ainsi l'accent sur la nécessité d'une relance économique coordonnée au niveau international, tout en essayant d'imposer leur propre dogme en matière de réforme financière ? celle-ci étant axée avant tout sur la recapitalisation bancaire et le containment des actifs toxiques. Mais le discours sur la relance coordonnée apparaît, en filigrane, comme une manoeuvre habile de diversion destinée à préserver la compétitivité de leur industrie financière d'un excès de zèle réglementaire», note Wade Ndoye, résumant la pensée de l'économiste Philippe Dessertine. «Les Européens, emmenés par la France et l'Allemagne, veulent quant à eux renforcer drastiquement les contrôles sur les acteurs de la finance mondiale, tout en limitant leurs engagements solidaires vis-à-vis du FMI ou de leurs voisins de l'Est».

Si le gouvernement chinois plaide pour une monnaie mondiale, c'est qu'il craint que les fluctuations à la baisse du dollar n'entament son épargne car la Chine est le premier pays par ses réserves de dollars (plus de 2.000 milliards). Mais dans le même temps, Pékin sait bien que les deux économies chinoise et américaine sont frères siamois.

Les épargnants chinois prêtent à des Américains surendettés de quoi acheter les produits made in China. Continuer à prêter équivaut à fournir de l'alcool gratis à un soiffard mal repenti. Mais si Pékin retire ses avoirs en dollars déjà démonétisés, pour les placer sur l'euro, il sait que les exportations chinoises vont s'effondrer. Dilemme. C'est pour cela que le gouvernement chinois ne croit pas trop à ses propres propositions.



Les états continuent à capituler devant les marchés



Ce choix cornélien est aussi celui de Barack Obama. S'il réduit les déficits (la dette américaine équivaut à la moitié de la dette mondiale), il ne pourra pas relancer la production, faute de liquidités. S'il la relance en faisant tourner la planche à billets, il ne pourra pas réformer le système et accroîtra les déséquilibres. Bigre !

Plus généralement, les Etats peuvent-ils faire rentrer le diable financier dans la boîte qu'ils ont imprudemment ouverte à la Conférence de Kingston en 1976 ? Celle-ci sonne le glas du système financier international, en transférant aux marchés financiers le pouvoir de fixer librement les parités de change entre les grandes devises. «Les Etats capitulaient face aux marchés !», s'insurge encore l'économiste Alexandre Kateb, qui ne croit guère à des issues immédiates.

«En réalité, dans le monde hyper-financiarisé d'aujourd'hui, les Etats n'ont que très peu de prise sur les 10 trillions (dix millions de milliards !) de dollars qui s'échangent chaque jour sur les marchés financiers. Parler dans ce contexte de «Bretton Woods II», comme le suggèrent certains responsables politiques, témoigne non seulement d'une profonde méconnaissance de la réalité économique, mais aussi d'une forme de schizophrénie. Le retour à un contrôle des transactions financières impliquerait, en effet, d'abord et surtout une résolution des déséquilibres économiques mondiaux (excès de consommation d'un côté, excès d'épargne de l'autre). Or, il ne peut y avoir de correction de ces inégalités sans un transfert de pouvoir d'achat massif des pays développés vers les pays émergents, au premier rang desquels figure la Chine. Aucun responsable politique occidental n'oserait prendre ce risque !.



Daniel Bouton : «On est là pour m'aider !»



Les lecteurs l'auront bien compris. Le chroniqueur ne peut pas annoncer chaque semaine l'apocalypse sans prendre un répit pour se payer une bonne pinte de rire. Dieu merci ! Pour glousser un peu, il suffit de lire les communiqués de presse concernant la très noble banque française, La Société générale, et son impayable slogan : «On est là pour vous aider !». Cette semaine, la bonne nouvelle était la formidable retraite que s'est accordée son PDG, Daniel Bouton. Ce dernier avait raté il y a quelques jours son auto-gratification de stocks options munificents (voir la chronique de la semaine dernière), alors que sa banque était sous perfusion de l'argent public. De quoi agacer le populo !

Ça n'empêche pas les dirigeants «successful» (on a appris que la moitié des bénéfices de la banque française s'était réalisée ces dernières années sur les hedges funds !) de se payer sur la bête : mieux, avoir tout de suite ce qu'on ne pourra plus choper demain ! Daniel Bouton s'est donc octroyé un bâton de vieillesse, une petite rente pour finir ses vieux jours. Il a hésité longtemps... Peut-être un petit bar-tabac ou une épicerie de village qu'il aurait tenue avec madame. Il a finalement opté pour une modeste pension de 33 millions d'euros, mais étalée sur 23 ans. Ce qui représente 2.148 années et demi de SMIC. Mais bon ! Quoi ! Tout le monde n'a pas les mêmes besoins et le brave homme a certainement dû ne pas vouloir priver de travail une couple de jeunes commerçants débutants.

Qui est Daniel Bouton ? On se le demande. Un homme aux origines modestes : petit-fils de cantonnier, orphelin de père à 13 ans. Enfant de la méritocratie républicaine, il réussit brillamment l'ENA. Après quelques postes ministériels, il prend en charge la vénérable Société Générale en 1991 et devient président en 1997. La Société Générale ? Une des trois augustes grandes banques françaises, fondée en 1864. Daniel Bouton développe la machine, résiste à une OPA de la BNP et préside jusqu'à 2008 la Fédération patronale de la banque.

Hélas ! Le 25 janvier 2008, Daniel Bouton est obligé, devant micros et caméras, de confesser la présence d'une «vipère dans le bénitier» : Jérôme Kerviel, 31 ans, un trop talentueux trader de la Générale, vient de faire perdre 7,1 milliards d'euros (quasiment le déficit de la Sécurité sociale française) à coups de spéculations hasardeuses. Et la banque n'en savait rien ! Et on n'avait rien dit à Daniel Bouton ! Ah ! Le pauvre homme. Et on vient l'empêcher aujourd'hui de passer une retraite tranquille et bien méritée !



L'avenir des garçons de café



Les syndicats de La Société Générale ont verdi de rage en apprenant le système de retraite matelassé dont bénéficiaient Daniel Bouton et une centaine de cadres dirigeants. Mauvais présage, l'un des deux représentants du personnel au conseil d'administration de la banque s'appelle, cela ne s'invente pas, Gérard Révolte. Les Français, qui partagent ce sentiment, appuient à une très large majorité grèves et manifestations unitaires. Les états-majors syndicaux sont un peu plus embêtés. Chaque journée nationale d'action connaît un succès grandissant. Mais après ?

Courage, camarades ! Comme disait Lénine, «la Révolution est proche quand les garçons de café se mettent en grève !». Ce n'est pas faux, mais d'une autre côté, après la révolution, il n'y a plus de bistros. Ce qui est toujours une déception pour les habitués.