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Doha ou l'instinct du chameau

par Ahmed Saïfi Benziane

Les gouvernants arabes continuent de fonctionner à l'instinct, aux sentiments, à vue d'œil pendant que la Terre ne tourne plus de la même façon que du temps de la chamelle. En ce temps-là, laisser à la sainte chamelle la liberté de choisir le lieu de résidence du Prophète (QSSSL) relevait d'une politique qui ne devait laisser aucun mécontentement s'installer dans la ville accueillante de Médine dès la naissance de l'Islam, un geste hautement politique à traduire au second degré. La suite est écrite des plus belles lettres qu'une civilisation ait pu laisser à l'Humanité. La suite de la suite c'est que depuis la chute de Grenade, le monde arabe en particulier et le monde musulman en général, n'ont pu trouver les ressorts nécessaires pour se relever de terre, passant d'échec en échec, des tentatives d'union. L'Empire ottoman a payé, quant à lui, la facture la plus salée, mais la Turquie semble se ressaisir par rupture avec les pleurnicheries sur le passé.

Le dernier Doha a révélé une fois de plus que gouvernants et peuples de cette nation tant recherchée se toisent par-delà un oued asséché sans pouvoir se donner la main, sans même pouvoir se regarder droit dans les yeux pour construire du sens à la vie. Le sens d'un Etat et d'institutions qui leur survivraient. Plutôt que de passer leur temps à se réconcilier n'est-il pas plus approprié de cesser les querelles enfantines par ennui propres aux palais ? Comment un chef d'Etat qui se dit par ailleurs rois des rois et qui a la responsabilité temporaire d'un continent peut-il se laisser emporter par une colère contre un autre chef d'Etat, alors qu'à l'ordre du jour d'une importante réunion au sommet, figure précisément la réconciliation ? Par qui sommes-nous donc gouvernés dans nos contrées bédouines qui tentent depuis plus d'une soixante d'années de retrouver ne serait-ce qu'un rêve commun, alors que les jeunes générations frappent aux portes du progrès par manque de serrures qui fonctionnent ? Au moment où partout dans le monde, les rennes du pouvoir passent de main en main, de plus jeunes en plus jeunes, dans une alternance qui fait le lit de la démocratie, nous assistons au défilé de ventrus et de vieillards aux voix à peine perceptibles dans les cimes des pyramides d'Etats et qui s'agrippent comme la mort à quelques trônes chancelants. Le résultat ? La mort n'a pas de remèdes, elle fait tout juste pleurer par mélancolie. Au moment où les flux économiques se transforment en richesses mesurables aux sourires des enfants dans le monde développé, les pays arabes sont réveillés par les cris d'enfants de plus en plus affamés chez les uns, soumis au supplice de Sisyphe chez les autres, pendant que les sommets s'amusent à se réconcilier de leurs déchirements absurdes. Comme des chefs de tribus dans une version qui associe voitures de luxe et immenses palais fleuris dans les déserts de la pensée. Au moment où l'intérêt accordé aux intellectuels dans le monde développé se mesure par l'amélioration des conditions de vie des citoyens, les intellectuels arabes sont poussés à l'exil vers les grandes capitales occidentales, ou sont récupérés pour silence prolongé. Au moment où la crise mondiale frappe avec force le système bancaire et que bougent dans toutes les directions les idées les plus pertinentes pour s'en sortir, la Ligue arabe se promène à travers une langue qui avait tout pour conserver sa grandeur mais qui n'a pas trouvé preneur par sommeil profond de ceux qui la parlent. Au moment où les résolutions des unions occidentales sont rédigées au propre avant toute rencontre, les participants de Doha se bousculent en plénière pour corriger un brouillon où chacun veut faire passer ses susceptibilités locales avant l'essentiel. L'essentiel, pour les participants de Doha, semble l'image renvoyée par leurs télévisions tribales à des populations qui attendent de voir clair dans un avenir commun où la Palestine demeure le seul sujet fédérateur, où les généraux sont engagés dans un processus d'équilibre des forces avec Israël au lieu de perpétuer leurs grossesses impudiques. Continuer à discourir sur le rôle joué par la Ligue arabe reviendrait à occulter les enjeux véritables dans un monde qui ne laisse aux faibles que la possibilité de disparaître en silence. Attendre une quelconque compassion de la nomination d'Obama et tendre une main à dévorer par l'Etat Hébreu en espérant des plans de paix acceptables par un ennemi qui avilie chaque fois un peu plus les peuples de la région laissant des morts, des blessés et des sans-abri à chaque passage, relève d'une complicité par mutisme structurel dont le seul but est de conserver des intérêts de quelques familles. L'Arabe d'en bas est-il donc condamné à subir les échecs de ses gouvernants amusés par leurs embrassades répétées par amour douteux, ou alors, sera-t-il un jour assez conscient pour renverser cet ordre des choses par tous moyens en sa possession pour instaurer un contrôle au moins morale de ses richesses et reconnaître ses véritables ennemis ? Ou alors, devra-t-il continuer à suivre l'instinct des chameaux qui ne peuvent vivre que dans les déserts ?