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Trop européens pour faire faillite

par Sebastian Dullien* & Daniela Schwarzer**

BERLIN - Les spéculations sont reparties de plus belle au sein des banquiers d'investissement sur la possibilité qu'un État membre quitte l'Union économique et monétaire (UEM) - ou qu'il y soit contraint.

Les agences de notation financière ont abaissé la note du Portugal, de la Grèce et de l'Espagne en raison de leurs faibles perspectives de croissance et de l'endettement de l'État. L'Irlande s' est vue infliger un avertissement à implication négative et pourrait également voir sa note abaissée.

Les préoccupations concernant la défaillance financière éventuelle d'un ou plusieurs pays de la zone euro ont poussé les marges actuarielles des obligations d'État à des pics sans précédent. Depuis quelques temps, la marge entre les emprunts grecs et allemands sur 10 ans s'est creusée à plus de 300 points de base.

C'est le signe que les investisseurs pensent que la Grèce risque de se retrouver dans une situation d'insolvabilité ou qu'elle pourrait être obligée de quitter l'UEM et de re-libeller ses obligations d'État.

Mais le vent de panique concernant une possible désintégration de l'UEM est excessif. Au lieu de courir le risque d'une défaillance et d'une sortie subséquente de la zone euro, il est probable que les États membres enfreignent l'un des principes fondamentaux de l'UEM et renflouent le pays en difficulté.

Quitter l'Union économique et monétaire serait un choix coûteux pour les pays insolvables. Bien sûr, retrouver le taux de change comme instrument d'une dévaluation compétitive pourrait être un moyen de compenser les pertes de compétitivité dues à l'envolée du coût unitaire de main-d'œuvre. Comme l'a prouvé l'Argentine après s'être retrouvée en cessation de paiement et avoir dévalué sa devise à l'hiver 2001-2002, cette orientation peut relancer les exportations et la croissance.

Mais la Grèce, le Portugal et l'Espagne ne sont pas l'Argentine. Le traité sur l'Union européenne ne prévoit pas de sortie de l'UEM. Comme une cessation de paiement implique un changement de la devise utilisée dans les transactions commerciales, il est probable que les partenaires commerciaux d'autres pays de l'UE engagent des actions en justice, les litiges traîneraient en longueur et le commerce d'un pays sortant avec ses principaux partenaires commerciaux serait entravé pendant des années. Aucun des pays défaillant ne peut donc envisager sérieusement le retour à une monnaie nationale.

Il est possible qu'un gouvernement de l'Union économique et monétaire se retrouve en situation d'insolvabilité ou d'illiquidité. On peut même envisager une sorte de crise de la dette qui s'accomplisse d'elle-même : si les acteurs du marché estiment qu'une cessation de paiement ou une sortie de la zone euro d'un pays est imminente, cela pousserait la marge actuarielle des bons du trésor de ce pays à la hausse. À un certain point, l'écart de rendement deviendrait tellement important que le gouvernement concerné ne pourrait pas refinancer sa dette arrivant à échéance ni financer ses dépenses courantes. Dans ce cas de figure, la seule option offerte au pays est celle de la cessation de paiement.

Mais même si ce scénario est possible en théorie, il est peu probable en pratique. Permettre à un État membre d'être insolvable créerait des pressions spéculatives sur les autres États dans une position fiscale précaire ou avec un faible marché des obligations. Une succession de banqueroutes de plusieurs pays de l'UEM provoquerait de sérieuses perturbations du commerce communautaire et de nouvelles difficultés du système bancaire, qui serait obligé de déprécier leurs titres en obligations d'État. Les principaux gouvernements de l'UE sont bien conscients de ce fait et agiraient en conséquence.

Avec les prêts accordés à la Hongrie et à la Lettonie, la Commission a déjà ressuscité une facilité de crédit qui était inactive depuis la crise du système monétaire européen en 1992 - et pour des pays qui ne font pas partie de l'UEM. Ces prêts sont extrêmement substantiels.

Associé à l'apport du Fonds monétaire international, le prêt accordé par l'UE à la Lettonie correspond à plus de 33 pour cent du PIB de ce pays.

En soutenant à ce point deux nouveaux pays membres de l'UE qui ne font pas partie de l'UEM, les pays de l'Union européenne ont démontré une volonté d'entraide mutuelle qui était impensable il y a à peine quelques années.

Et elle doit se développer davantage encore : en novembre 2008, le conseil Ecofin a relevé à 25 milliards d'euros le plafond d'éventuels prêts en balance de paiement aux pays non membres de l'UEM.

Dans ce contexte, il paraît inconcevable que l'UE refuse de soutenir un pays membre dans une situation similaire à celle de la Hongrie et de la Lettonie, en particulier du fait que tous les pays dans le rouge aujourd'hui sont des membres de longue date de l'UE. En cas de réelle défaillance, les autres pays membres de l'UE proposeront un plan de relance.

En fait, la clause de l'Article 103 du traité de l'Union interdisant le renflouement - selon laquelle ni la Banque centrale européenne, ni l'UE, ni les gouvernements nationaux « ne répondent des engagements [?] ni ne les prennent à leur charge » d'autres gouvernements nationaux - a perdu de sa crédibilité.

Les coûts politiques et économiques impliqués par la défaillance financière d'un autre pays membre sont simplement trop élevés dans une Union économique et monétaire étroitement interconnectée.

Parce qu'il n'y a pas d'antécédent à ce genre de mesure, l'on ne peut que spéculer sur la forme que prendrait cette aide communautaire. L'une des possibilités est que les principaux États membres élaborent un plan de sauvetage.

L'autre est que l'UE crée une facilité de crédit spécifique permettant d'emprunter sur le marché obligataire pour aider le pays membre en difficulté - une disposition similaire aux obligations que la Commission européenne a déjà émises pour le crédit d'urgence accordé à la Hongrie et à la Lettonie.Dans les cas de crise réelle, l'Union européenne sait très bien contourner les contraintes statutaires. Il n'y a aucune raison de penser qu'elle faillira à la règle cette fois-ci.

Traduit de l'anglais par Julia Gallin


* Professeur d'économie internationale à l'université des sciences appliquées (FHTW) de Berlin
** Directrice de la division Intégration européenne de l'institut allemand des Affaires internationales