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Bouteflika, un président japonais ? Oui mais...

par Lila Haddad, Bruxelles

Le chef de l'Etat se présentera à l'élection présidentielle du 9 avril 2009, gagnée d'avance comme rétorquent déjà ses détracteurs et une grande partie de la population et dont le décor est déjà planté : une Constitution sur mesure, des candidats rivaux sur mesure, une campagne électorale sur mesure, une télévision sur mesure et un budget sur mesure. Car, qui pourrait se mesurer aux moyens mis à contribution pour réaliser le voeu d'un chef d'Etat qui, au lendemain de son premier mandat, a rendu publique sa dernière volonté qui est celle de consacrer toute sa vie au service de la nation ! « Mourir sur le terrain, sera pour moi l'ultime récompense », avait-il confié à son ami Jean Pierre El Kabbache.

Et si Monsieur Bouteflika pour son troisième mandat venait à s'inspirer d'un pays géant comme le Japon ? Serait-il indécent de se poser la question de savoir d'où le Japon tient-il les secrets de sa réussite ? On a convenu, en Occident, de définir un «modèle japonais», certes très réducteur mais très rassurant. Ainsi, le Japon, petit archipel pauvre et surpeuplé, se serait hissé aux tout premiers rangs grâce à ses seules forces économique et culturelle.

Interrogeons-nous d'emblée sur les raisons profondes de ce changement. Sans doute, la caractéristique principale de la société japonaise actuelle est son dynamisme, sa capacité à se plier aux contraintes économiques, à s'adapter sans fléchir. C'est un atout considérable, le Japon le doit à des décennies d'efforts menés par la population tout entière. Tous se sont mobilisés, au service des «keiretsus», (pour aller vite disant que les «keiretsus», sont l'équivalent de nos généraux, les détenteurs de l'argent frais) lesquels allaient favoriser la croissance économique du pays. Quant aux élites japonaises, elles ont compris depuis longtemps l'importance de la dimension humaine dans la réussite d'un pays et ont donc su très tôt rassembler les hommes au service d'un même objectif. Il en ressort une certaine façon de travailler ensemble, un esprit typiquement japonais, mais qu'il est possible d'adapter à la société algérienne en mal de modèle positif.

En effet, même si comparaison n'est pas raison, quand on plonge dans l'histoire du Japon, on relève que les chefs militaires japonais détenaient la réalité du pouvoir, et leur autorité était déléguée en province à des gouverneurs, les daimyô. Jusqu'au XVIe siècle, plusieurs familles se partagèrent ainsi le pouvoir : les Fujiwara, les Taira et les Minamoto. Un autre point fort que je pense aussi à la portée des Algériens, c'est la soif des Japonais à la connaissance et au goût de la spéculation intellectuelle qui n'ont jamais cessé de s'affirmer. Cette curiosité se traduit d'abord par un regain d'intérêt pour l'Europe et pour une ouverture au monde, loin de la suffisance dont se targue une grande partie d'Algériens par inconscience parfois et par ignorance souvent !

Pour revenir à ce que j'appelle la démocratie économique, osons comparer l'Algérie rurale d'aujourd'hui, le jardin de France autrefois, au Japon rural du XVIè siècle qui a su enregistrer pendant toute cette période des progrès réguliers qui se sont traduits par un accroissement des revenus, une spécialisation des cultures, une amélioration des techniques agricoles, et une intégration des activités rurales dans les circuits économiques de la nation. En revanche, le secteur industriel japonais fit l'objet d'autres réformes. Quelques entreprises parmi les plus grandes et les plus puissantes furent démantelées grâce à de puissants syndicats indépendants qui permirent aux employés à y investir. Les pratiques commerciales déloyales et les monopoles furent condamnés par la loi. De nouveaux impôts permirent de lutter contre les injustices sociales. Les personnes, qui avaient fait fortune pendant la guerre, furent lourdement imposées. Toutes ces mesures permirent de lutter contre la concentration des richesses entre les mains d'une minorité. La richesse commença donc à être plus équitablement et démocratiquement répartie dans la population.

Ces réformes sont à la base du miracle économique japonais. Toutefois, ce miracle n'a eu lieu que grâce à la conjonction de plusieurs facteurs importants. Une vraie démocratie participative, des partenaires sociaux indépendants entre autres... mais avant tout, les Japonais, qui voulaient reconstruire leur pays, étaient disposés à se sacrifier pour y parvenir.

Dire que le Président Bouteflika n'aime pas qu'on lui fasse de l'ombre, que son ego est tellement hypertrophié, et qu'il ne tolère pas qu'on lui dispute le centre du projecteur, c'est sans doute aller trop vite en besogne.

Le problème n'est pas que Bouteflika assume un troisième mandat, mais que ce sont ces opportunistes que compte le gouvernement choisi par le chef de l'Etat lui-même et qui gravitent autour sans apporter aucune valeur ajoutée véritable, comme des arrivistes insatiables en quête d'un poste éternel ! Quand, en zappant sur une grande chaîne arabe, vous tombez par hasard sur un ministre algérien, invité par satellite à participer à un débat de fond, il se contente d'une voix chevrotante dans un arabe que seul lui comprend « Fakhamatouhou a pensé que, fakhamatouhou a fait, fakamatouhou a dit, fathamatouhou a déclaré que, etc... ». N'est-il pas légitime de s'interroger si ce ministre pouvait lui-même, penser, faire, dire et déclarer... ? N'est-il pas grand temps de s'interroger aussi sur les compétences et la bonne foi de ceux et celles qui composent un gouvernement perroquet depuis dix longues années !

En définitive, un Bouteflika japonais, c'est possible, mais il faut aussi japoniser le système en remplaçant le modèle népotiste par le modèle nippon. Rafraichir, rajeunir, alterner, devront être les maîtres-mots d'une véritable remise en cause pour venir à bout de l'incompétence, de la médiocrité et de la suffisance.