Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Voie royale

par Abdou B.

«Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière».
R. Char.

Sans nul doute, l'élection présidentielle du 9 avril 2009 ne ressemble à aucune autre dans l'histoire de l'Algérie indépendante, dans laquelle la légitimité historique, qui a trop longtemps «servi la soupe» à une faune des plus bigarrées, s'est définitivement émoussée à force d'avoir été manipulée, privatisée à tort et à travers. A ce jour, le seul candidat qui s'en prévaut, peu ou prou, peut engranger des voix dans le réservoir d'une génération et ses descendants. M. Bouteflika, dans la course au fauteuil présidentiel, est celui qui pour une dernière fois, sauf si l'avenir le place en position de solliciter un quatrième mandat, peut représenter la «famille révolutionnaire» et les courants plus ou moins de proximité avec la guerre d'indépendance qui estiment que la France coloniale doit se repentir d'une manière ou d'une autre, sinon ne plus édulcorer une histoire, certes commune, mais où il y a un colonisateur et un peuple qui a pris les armes en situation de légitime défense.

Le prochain scrutin tranche avec tous les précédents, essentiellement par une rupture au niveau des candidatures qui n'a pas été scrupuleusement analysée par les experts et les commentateurs de tous les bords, idéologiques et politiques. Les analyses exposées à ce jour procèdent d'un manichéisme plus ou moins fainéant, et surtout ancré dans un logiciel qui n'est soumis à aucune évolution, aucune variable qui seraient relativement en phase avec les mutations et luttes sociales, les transferts générationnels qui contredisent les thèses d'une histoire figée, d'une économie immobile et d'une démoralisation longtemps différée et qui ne peut émerger sérieusement que par le bon vouloir du pouvoir. En bref, le scrutin prochain est présenté comme celui qui oppose un candidat du pouvoir et des «lièvres» sans expérience, sans ancrage, sans moyens, sans parti ayant une histoire plus ou moins longue, des encadrements connus dans l'Algérie profonde et des relais efficaces dans les appareils, l'économie, la culture et la société d'une manière générale. Il y a sûrement du vrai pour de multiples raisons évidentes. Ce qui ne doit pas exclure des considérations à explorer.

Tous les adversaires de M. Bouteflika ne sont pas par fatalité tous des lièvres ou des personnes, qui ne cherchent qu'à crédibiliser une élection en contrepartie d'une somme d'argent pour les frais de campagne en provenance du Trésor public. L'absence de candidats de l'envergure et de l'expérience, comme l'ont été Aït Ahmed, Hamrouche et Taleb souvent cités par la presse, est effectivement un paramètre qui a du sens, mais il ne suffit pas. Il appartient à ces candidats différents de s'en expliquer, s'ils ne l'ont pas déjà fait, sachant qu'ils font partie d'hommes crédibles qui ont toujours demandé du changement, de la jeunesse, des projets à travers des programmes dont de larges pans sont toujours d'actualité et fort pertinents, utiles maintenant et pour plus tard.

Dans des conditions qui n'ont pas fini d'être analysées, moquées ou fermement critiquées, l'élection prochaine n'offre pas objectivement de suspense, mais elle peut rompre avec le passé récent. Elle peut y contribuer si les candidats-challengers, après les résultats, poursuivent sur la durée, et avec patience, de faire de la politique chaque jour pour se tisser une carrure nationale et internationale. Si les consensus sont faits sur la réalité de la mondialisation, de l'interdépendance des économies, de la dépendance alimentaire pour des pays, du retard considérable aux plans scientifiques et technologiques, de la faiblesse de certaines langues à produire des découvertes, des logiciels, des applications avec l'énergie nucléaire, il y a du travail énorme à réaliser.

La prochaine élection aura le mérite de mettre à plat, sinon à nu, de simples virtualités érigées en forces majeures et de révéler des velléités stériles et des incapacités presque «génétiques» à vouloir réellement le changement et d'en avoir les compétences pour s'en donner les moyens. De tous les partis que l'on croyait démocratiques, nationalistes ou islamistes apparus avec la Constitution de 1989, que reste-t-il ? D'un côté, il y a des appareils, plus ou moins rusés, mais surtout liés à l'administration tout en ayant des prolongements cooptés au Parlement, juste pour voter des lois proposées par l'exécutif composé de cadres de ces mêmes appareils. Si la boucle est toujours fermée sur elle-même, la mécanique a l'avantage d'être lisible. Les ordres venus du sommet sont exécutés et aucun parti n'est tenu d'avoir un programme, des idées ou des propositions, les uns en concurrence avec les autres. C'est inutile puisque les partis de l'alliance n'ont pas séparément un candidat à chaque présidentielle, ne rédigent aucune loi à l'APN.

L'autre versant, celui d'une opposition souvent inaudible et toujours farouchement anti tout n'offre pas non plus des images rassurantes, séduisantes pour la jeunesse ou bien attirante pour les élites dans l'ensemble du pays. Les personnes, les clubs et les partis, que des commentateurs présentent comme une alternative à M. Bouteflika, ne se sont pratiquement jamais entendus ne serait-ce que pour une municipalité de 1.329 habitants. Que dire alors des élections législatives et présidentielles ? Des Algériens sincères se sont égosillés, en vain, pour que des alliances se fassent, pour des programmes communs, pour des propositions crédibles pour des industries culturelles... Le fiasco est énorme et certains espèrent encore qu'avec une dizaine d'interviews réalisés par des amis, des conférences à la Maison de la presse, le pouvoir tendrait les bras.

Les gymnastiques théoriques sur les obstacles mis par le DRS ne tiennent pas la route, malgré certes la disproportion des moyens. Et si demain, des cadres du DRS rompaient la discipline et le silence et se mettaient eux aussi à dire leur vérité ? L'opposition dans ses différentes déclinaisons demeure un grand mystère. Si, demain, le FFS présentait un candidat, quelle serait la position du RCD ? Si, aujourd'hui, M. Bouteflika ne craint pas la candidature de M. Zeghdoud qui a parfaitement le droit de vouloir aller à l'échec (ça ne lui coûte rien), qu'ont construit depuis 1999 ceux qui s'opposent aujourd'hui à lui, dont certains avaient fait un bout de chemin avec lui ? Après la présidentielle du 9 avril prochain, des soufflets retombent. l'opinion et les analystes objectifs observeront avec objectivité les propositions, les alliances, les rapprochements à la base que feront les vaincus, ceux qui auront boycotté et les autres. A moins qu'il faille continuer à reprocher au pouvoir de ne pas trouver sur son chemin une opposition diverse mais unie, un programme minimum proposé aux électeurs et un candidat soutenu le temps qu'il faut pour gagner. La voie royale pour M. Bouteflika est pavée par ses adversaires, pourquoi lui en vouloir?