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Et pourquoi ne pas aller voter ?

par El-Yazid Dib

«Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis»*.

Ce libre choix ne doit se subir que par l'intermédiaire d'un vote, d'une urne, d'une expression de choix et de voix. Que ceux qui sont pour Bouteflika aillent voter. Que ceux qui en sont contre le fassent aussi. Ne pas y aller s'assimilerait à une destruction collective de tous nos personnages.

Voter, c'est comme un acte de production. Jeter la semence ou jeter sa voix dans les sillons ou dans les urnes, savoir attendre la récolte ou le dépouillement dépendra en grande partie d'un oracle divin ou d'un arrêt du Conseil constitutionnel.

C'est à chaque station électorale que l'on s'apprête à vouloir dire tout bonnement, pour une élection pourtant chronologiquement à temps ; que celle-ci est différente, particulière ou en fait pas comme les autres. Sinon que la conjoncture n'est pas identique. En quoi celle du 09 avril prochain puisse-t-elle se prévaloir d'avoir des atouts ou des aléas tout aussi divers que celle de 2OO4 ou encore de celles qui l'ont précédées ? La loi étant la même pour le souffle opératoire, soit le mode du scrutin au suffrage universel et direct ; la procédure du cheminement du dépôt de voix, nonobstant les variations étudiées y apportées, reste toujours empreinte de doutes et de suspicions. La modification subie en matière de suppression des bureaux de vote spéciaux, englobait en son sein d'innombrables hypothèses, non dénuées par ailleurs, d'arithmétiques politiciennes. Cette suppression avait dans l'apparence légale un caractère d'une volonté politique d'approfondir davantage l'esprit de démocratie et de neutralité dans les institutions concernées. Comme elle venait en toute légitimité corroborer les droits subjectifs de divergence et d'idéologie des individus qui les composent. Mais autrement lue, cette importante disposition votée sur proposition d'un parti par essence qualifié d'opposition (el islah) en son temps suggérait et confirmait l'ambiguïté qui avait longtemps subsisté autour de la vérité que devaient exprimer les voix moissonnées dans ces urnes spéciales. Ils (bureaux spéciaux) constituaient une quantité non négligeable dans le décompte total de l'ensemble des électeurs. Ce fut comme un poids métrologique invisible mais prépondérant dans une balance exposée publiquement à la devanture de l'Etat. Ce fut aussi, dit-on, le sceau de Souleiman. En ces jours, une autre facon spéciale est venue enrichir la liste des inscrits. Les cités universitaires. Croyez-vous que par un jeudi radieux, chomé et payé, les étudiants iront se bousculer aux portillons des bureaux de votes ? Alors, au dépens de qui cette mesure s'érige-t-elle en un obstacle infranchissable et au profit de qui devient-elle une trampoline chatoyante, hardie et rentable ? La réponse à l'interpellation se fera, alors, sonnante et trébuchante lorsque le score rasant scellera les pages d'un PV global de résultat le 09 avril 2009.

Il demeure néanmoins que ces bureaux spéciaux concernent particulièrement l'armée et les services de sécurité. A faire une restriction interprétative l'on peut constater que cette disposition d'emblée n'aurait point arrangé les concernés. A faire une interprétation restrictive il est à relever que les enjeux se veulent francs et transparents. Soit un véritable verdict des urnes. De toutes les urnes. En tous les cas, tous les scénarios possibles et imaginables sont et le deviendront en faveur du président candidat. Certes, les dés sont pipés, mais paradoxe des choses publiques, le jeu est ouvert. Dans ce sens où Bouteflika continue à se faire favoriser par l'ENTV, cette machine électorale plus lourde que ne le sont tous les partis politiques réunis. Viennent ensuite l'administration et les différentes commissions de surveillance. Toutes, d'avance décriées et honnies. Donc par circonspection, le fait de prendre sa peine et sa carte le jour du scrutin sera déjà une prise de conscience de la mise formidable qu'exprime l'authentique esprit cartésien. C'est-à-dire, dire : moi aussi je suis dedans. Se taire, rester chez soi, laisser vide sa case d'émargement ne serait-ce pas une contribution aux veilleurs de nuit, aux scrutateurs couche-tard et zélés de servir à leur guise, et à quelle guise ? la « fraudemanie » chronique et maladive ?

Croient-ils servir ainsi l'heureux élu ou secourir le pays d'un mal endémique ? Au contraire. Ils le souillent. Ils portent de la sorte des salissures indélébiles, tels des graffitis obscènes sournoisement calligraphiés sur des parois en éternel ravalement de façade. Que les observateurs, les assesseurs, les assistants de tous les candidats veillent au grain. La loi permet maintenant aux candidats ou leurs représentants d'être à la fois au four et au moulin. De toute manière, en politique c'est le propre du militantisme. La fraude, au sens propre étant la saleté d'une élection.

Une élection se gagne d'abord par la création d'une conviction utile chez l'électeur. C'est ensuite aux merveilles de sa crédibilité que toute sa splendeur puisse se répandre sur le triomphe du vainqueur. Un président élu aux trois quarts des suffrages ne sera jamais un trois-quart de président. Cela forme un taux de 75 %. Une majorité honorablement confortable. Ceci n'est que chimère. Fini le temps des records de participation. Le bourrage des amphores, le remplissage des urnes, le noircissement des listings nominatifs. C'est une antinomie de la démocratie, ce taux qui avoisine les 60 % ou tente de les surpasser. Il justifiera l'annihilation de toute tentative de reconstitution d'une éventuelle opposition. Comme il certifiera à l'évidence la spécificité dictatoriale du régime organisateur. Laisser faire la bonne intuition populaire et ne pas se laisser faire.

Le boycott, qui dans certaines situations semble avoir une posture d'une décision politique, somme toute normale, est loin en cette phase cruciale de prétendre résoudre quelques choses. Il ne fera qu'accentuer les susceptibilités. Dans la logique de ses appelants, il est le prélude à l'interruption de tout le processus. Quels effets peut avoir le non-vote ? Une décrédibilisation de toute l'opération électorale ? Un faible taux de participation qui tournera mal à l'éventuel récipiendaire ? D'où une position d'avance ramollie, instable et fragilisée. Turpitude et utopie ! le retrait des six en 1999 en plein scrutin et à quelques heures du dépouillement n'avait eu qu'un effet de surprise précaire et Bouteflika fut le président de la République. Y avait-il eu fraude ?

Pour ces énièmes joutes, tant de candidats sont partants dont le président. Lui fait son travail. Les autres également. Un déséquilibre dans la distribution des forces est à observer. Le candidat président utilise les moyens de l'Etat, ses finances, sa télévision, son administration. Peut-il faire autrement ? Mais par nature, la lutte ou l'adversité offre toutes les chances à ceux qui savent les saisir. L'imagination, le scandale et les scoops font les événements. Les salons calfeutrés, les conférences de presses rétrécies, en finalité n'entretiennent que ceux qui les animent. Le peuple et le bain de foule sont ailleurs. C'est dans ce chapitre qu'il faudrait un jour légiférer en complétant la loi électorale. Fixant les droits et obligations des candidats notamment à la présidentielle, cet amendement fera finir les privilèges, qu'octroie en fait au président ; le vide juridique en la matière. Un autre que lui aurait agit de la même et stricte manière.

En l'état, Bouteflika, candidat indépendant continue encore pour cette mandature d'être le candidat du consensus. Le FLN avec sa problématique organique, le RND en entier, le MSP toutes tendances, l'UGTA dans sa maison de peuple, le patronat avec sa capacité économique et financière, l'ONM, l'ONEC ainsi que d'autres circonférences satellitaires soutiennent à l'unanimité Bouteflika.. N'est-il pas évidemment « le candidat d'un autre consensus » ? Qui lui sont contre ? L'armée ? Elle s'est publiquement déclarée rester neutralement muette. Le peuple. Il doit le dire.

Le résultat final reste donc l'exercice d'un droit de citoyenneté. Unique moyen civilisationnel d'expression, le vote est à double tranchant. Que le président candidat ait, semble-t-il cette assurance virtuelle d'emporter le gros lot, il n'empêche que ses adversaires déclarés ou indécis puissent avec hargne et engouement utiliser la voie des urnes. Avertir leurs troupes, mobiliser leur énergie, serrer leurs rangs et partir à la récolte des bienfaits du trône républicain. Voter reste en fait le dernier certificat de vie lorsque l'agonie ronge le corps moribond d'une démocratie tenue en proie.




*Article 21.
Déclaration universelle des droits de l'Homme.
ONU 10 décembre 1948.