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En attendant les candidatures

par Abed Charef

Dans deux mois auront lieu des élections présidentielles. Non seulement elles ne provoquent aucun engouement, mais un véritable malaise s'installe dans le pays.

Ils soutiennent la candidature de M. Abdelaziz Bouteflika pour un troisième mandat, mais ils ne savent ni quand il va se prononcer, ni sous quelle forme il va le faire, ni même s'il va postuler pour un nouveau mandat de cinq ans ! Ils savent qu'ils tiennent le bon bout, celui qui leur permettra de se maintenir dans la périphérie du pouvoir, pour continuer à bénéficier de ses largesses et à récolter les privilèges. Mais depuis quelques mois, nombre d'entre eux avouent qu'ils vivent une situation dégradante, car ils sont appelés à applaudir et approuver, sans avoir à dire un seul mot. Personne ne les consulte. Leur avis ne compte pas. Ils ont un seul rôle: approuver, applaudir, faire semblant de s'enthousiasmer, et attendre qu'on les convoque.

Dirigeants du FLN, cadres du RND et responsables du MSP affichent pourtant une sérénité à toute épreuve. Du moins en public. Car en privé, nombre d'entre eux se laissent aller à des confidences qui leur coûteraient leur poste ou leur droit d'entrée dans les cercles du pouvoir. On n'évoquera pas ceux qui utilisent les mots les plus crus et les plus violents, car ils sont souvent les premiers à l'applaudimètre.

Mais d'autres, avec des mots plus posés, évoquent ce malaise qui s'est répandu à différents niveaux de la hiérarchie, au sein des partis de l'alliance présidentielle comme au sein de l'administration et ces innombrables cercles qui gravitent autour du pouvoir. « On n'a jamais connu pareille situation », affirme un cadre du FLN. « Nous apprenons que nous sommes convoqués pour le 2 février, puis le 5 février. Ensuite plus rien », dit-il quand on l'interroge sur la date de l'annonce de la candidature de M. Bouteflika. « On a avalé des couleuvres par le passé, mais cette fois-ci, nous avons dépassé les bornes: nous n'existons plus », ajoute-t-il, avec un brin d'amertume. Cette situation ne décourage guère les professionnels du soutien. « Nous avons été convoqués pour recevoir des directives. Nous sommes prêts », affirme le dirigeant d'une association. Il ne se pose pas de question. Pour lui, on ne parle pas de programme, encore moins de liberté de vote. Les choses lui paraissent si claires et si évidentes que des questions sur l'avenir du pays le font sourire. Il balaie le tout d'un revers de la main: « ce n'est pas mon problème, d'autres s'en occupent », dit-il simplement.

Dans certains cercles, dont il est difficile d'évaluer l'étendue, le malaise est cependant réel. Ce n'est pas une question démocratique qui les dérange, ni une volonté quelconque de permettre au peuple de s'exprimer librement. Il s'agit plutôt de cette incertitude qui s'est installée dans le pays, et cette impression qu'il n'y a plus de maître à bord. « J'ai l'impression que personne ne prend de décisions. Le pays fonctionne par simple routine », déclare un haut responsable de l'administration. « Pour les élections présidentielles comme pour le reste, on attend que les choses se fassent d'elles-mêmes. On attend le dernier moment pour trancher, en réalité pour avaliser une situation de fait », ajoute-t-il.

Cette « situation de fait » est là, avec un Président qui a pris soin de changer la Constitution pour avoir la possibilité de briguer un troisième mandat. Une situation qui s'est imposée, mais que personne n'a encore formellement officialisée. A deux mois des élections présidentielles, on ne sait toujours pas qui sera candidat. « On n'est même pas sûr qu'il y aura des candidats », avance un membre de la direction du RND. Un ancien haut responsable, qui a côtoyé M. Bouteflika dans les années 1970, va dans le même sens. « Je vois mal le Président Bouteflika se présenter à une élection où il aurait Moussa Touati comme seul concurrent », dit-il.

Mais au-delà de ces considérations, un autre malaise domine. Il est dû à un sentiment d'impuissance face à ce qui apparaît comme un glissement continu du pays vers le bas. Ceci est valable d'abord pour ceux qui sont hors système, et qui n'ont donc pas de moyen d'influer sur le cours des événements, mais c'est également valable pour certains des responsables en poste, qui ont le vague sentiment de participer à la déroute. Nombre d'hommes politiques pensent que l'élection présidentielle aurait pu être un moment de lucidité, pour faire le point et réfléchir sérieusement à ce qui va se passer. D'autant plus que le monde risque d'être bouleversé par la crise actuelle. Il n'en est rien. Face à cette situation, ils expriment leur déception, chacun à sa manière, par le silence ou par des déclarations publiques. L'ancien général Rachid Benyellès a ainsi exprimé ce sentiment de révolte, en proposant un programme qui s'apparente fort à un appel à un renversement du pouvoir en place. Abdelhamid Mehri a de son côté déclaré que les élections constituent une simple technique de ravalement du système, alors que le pays a besoin de changer de système. Mais cette fois, le ravalement sera difficile. Il n'y a pas de candidat pour donner du crédit à l'élection. Il n'y a pas non plus de candidat de type Ali Benflis pour créer un semblant de suspens. Personne ne veut se porter candidat dans une comédie de troisième catégorie. Le pays est atteint de lassitude. Le système est désormais à nu. M. Abdelaziz Belkhadem en est arrivé presque à implorer les candidats crédibles de se manifester. Mais ceux-ci ont non seulement refusé de cautionner une opération inutile, mais leur attitude a contribué à accélérer un mouvement qui a abouti à enlever tout crédit aux élections. Cette fois-ci, les apparences ne seront pas sauves. En attendant que se pose l'autre question, la vraie: les élections, et après ?