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Polichinelle et ses secrets

par Ahmed Saïfi Benziane

Que reste-t-il du programme du Président qui ne soit encore réalisé et qui nécessiterait un troisième mandat ? Ce que les entrepreneurs et autres conducteurs de travaux appellent le R.A.R. (le reste à réaliser).

Question certes tardive et quasi inutile au regard de l'agitation des partisans du mandat à vie, détenteurs exclusifs de la parole et des moyens de l'Etat. Au tout début, il s'agissait de « faire venir » un homme capable d'apporter la paix dans un pays en guerre contre un terrorisme aux causes visibles mais intraitables par le seul dispositif de sécurité, par le seul moyen des armes tant ses profondeurs enracinées dans une généalogie mal définie. L'immuabilité des hommes du système qui étaient là avant son arrivée et qui ont traversé les âges, en marchant tantôt à l'endroit tantôt à l'envers selon la direction des vents, en volant juste pour être visibles par lui d'en haut, lui aurait permis d'assurer une certaine stabilité des équilibres régionaux du pouvoir au prix d'une impopularité apparue dès l'épisode du Val-de-Grâce. Dès qu'il a cessé de parler, ne s'adressant la plupart du temps que par des intermédiaires, parfaits lecteurs de ses messages. Le commun de l'immortel témoin qu'est le peuple, entité à définir selon les angles ouverts de la Sociologie, sait que le pouvoir de Bouteflika se résume à quelques cercles dont on dit que ses proches occupent la place de choix dans les fonctions de conseillers. Le reste tient à une position de neutralité dans les conflits internes de la maison présidentielle, qui consiste à envoyer au front les indésirables en leur promettant protection en cas de coup dur. Il y en a eu très peu, à vrai dire, du fait des comportements proches des maisons royales arabes. En fait, l'Algérie indépendante a de tout temps fonctionné sur le mode des cours, des colères des chefs, de la clientèle fidèle à l'exercice d'un pouvoir concomitant. Tu veux un poste, tu émarges là et attention aux dérapages. Là et attention. « Celui qui n'est pas content n'a qu'à partir », formule du reste utilisée déjà du temps de Boumédiène. Ce qui fut fait par colonnes entières, les ambassades jouant le rôle d'aspirateur, profitant d'une belle occasion offerte sur un plateau. La paix est revenue avec ses lots d'incertitude, de fragilité mais les ingrédients qui ont précédé la guerre et qui l'ont déclaré sont tous présents. La corruption a redoublé d'efforts à l'ombre de l'augmentation des prix des hydrocarbures, le chômage des jeunes et des moins jeunes grossit chaque jour un peu plus les rangs des activités informelles, les pertes fiscales ne se comptent plus, les libertés publiques ne servent qu'à s'égosiller inutilement, l'intégrisme religieux est plus fort encore dans l'attente du moment venu. Le pays tout entier verse dans la perversion de la consommation. Les émeutes prennent une tournure de vengeance sans but politique. Les affrontements ethnico-religieux sont une réalité à Berriane. Les clubs de football ne sont qu'un prétexte à la haine d'une région envers l'autre, d'un quartier envers un autre quartier. Quitter le pays est devenu une délivrance pour ceux qui peuvent le faire. Les autres s'exilent intérieurement comme le rappelle « plume qui pique ».

Les autres ne constituent pas une force assez importante pour changer le cours des choses, du moins dans l'immédiat si l'on considère que le changement est un processus et non un état. Ceux qui adhèrent à la démarche officielle affichent leur fierté à soutenir Bouteflika comme un signe de courage au point de travestir une Constitution pour faire valoir une volonté de fermeture du jeu politique. Même durant les événements de Ghaza où l'expression populaire a été muselée, réprimée, interdite, les partis de l'alliance et leurs appendices n'ont rien trouvé de mieux à faire que d'organiser leur triangulation absurde, pour préparer les élections en réservant quelques mots à la souffrance du peuple palestinien juste pour demeurer dans la fraternité arabe. C'est vrai que l'Etat doit continuer à fonctionner quelles que soient les circonstances, mais tourne-t-il vraiment au sens politique du terme, en dehors des cachotteries budgétaires qui nous classent parmi les derniers dans la transparence ? En dehors de l'argent et rien que lui ? Quel rôle joue l'Algérie sur la scène internationale si ce n'est celui de nous faire admirer par de moins bons que nous au sujet de modèles dont nous serions les initiateurs et les meilleurs maîtres d'oeuvre. Bouteflika se présentera-t-il aux élections présidentielles prochaines ? Quelle question ! Même s'il ne se présente pas et que les mêmes réflexes oedipiens continuent à charger la vie politique chaque fois qu'un Président doit partir et qu'il faille en « chercher » un autre, qu'est ce qui changera dans le quotidien. Rien. Rien tant que cette résistance quasi maladive au changement des pratiques héritées du parti unique persistera. Rien qui soit digne d'intérêt au point de faire de l'Algérie un pays, un Etat fort de ses ressources mais surtout de ses femmes et de ses hommes. Même si Bouteflika se présente après toute la mise en scène burlesque qui aura précédé l'annonce de sa candidature à sa propre succession et qu'il remporte les élections, quelle popularité aura-t-il encore à s'attirer l'adhésion des principales forces du pays pour « continuer » son programme ? Les mêmes courtisans continueront à lui exprimer leur fidélité et leur attachement à sa grandeur comme ils l'ont fait avec ses prédécesseurs.

Jusqu'à l'arrivée du prochain numéro gagnant ou jusqu'à la veille du quatrième mandat. D'ici là... on continuera à cultiver les secrets de Polichinelle pendant que la C.I.A, et pas seulement elle, parle stratégie sur les hauteurs d'Alger.