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Le Hamas gagne à tous les coups

par Abed Charef

Le Hamas n'est pas perçu comme un mouvement islamiste, mais comme le dernier bastion de la résistance.

Tirant profit d'une supériorité militaire écrasante, Israël a eu recours, une nouvelle fois, à la force brutale pour tenter de faire évoluer en sa faveur la situation sur le terrain. Et, encore une fois, l'usage de la force s'est non seulement révélé hasardeux, mais il risque, à terme, de se révéler contre-productif, et de provoquer un effet inverse à ce qui en était attendu. En attaquant Ghaza, Israël a agi en sous-traitant de nombreuses forces influentes dans la région. Certes, Israël était supposé bénéficier de l'affaiblissement du Hamas, mais l'Egypte, les Etats-Unis et nombre de ce qu'on appelle les Etats « modérés » de la région souhaitaient un affaiblissement, voire une élimination du Hamas. Pour tout ce monde, le mouvement islamiste joue le rôle qu'avait assumé Yasser Arafat dans les derniers mois de sa vie : c'était un empêcheur de capituler en rond. Il fallait donc le réduire, pour se présenter en position favorable quand le président américain élu Barak Obama lancera la grande initiative qu'on lui attribue.

Dans cette perspective, Israël voulait marquer des points. Eliminer ou affaiblir le Hamas lui permettrait de négocier dans des conditions favorables, c'est-à-dire imposer sa solution. D'autres pays de la région, qui ont admis leur défaite et se sont résolus à l'impuissance, estiment qu'ils pourraient eux aussi tirer profit d'une normalisation qui se ferait aux conditions israéliennes. Ils peuvent obtenir plus d'aide, plus d'argent, et jouer un rôle que les conditions de guerre ne leur permettent pas d'assumer.

Eliminer le Hamas signifie aussi pour ces pays l'élimination d'une menace. Tous ces pays ont en effet beaucoup investi pour contenir l'islamisme politique, et ils n'admettent guère de le voir s'installer au pouvoir dans une entité palestinienne, même virtuelle. Pour eux, le Hamas apparaît aussi dangereux et aussi déstabilisateur que l'étaient les organisations palestiniennes de gauche dans les années soixante-dix. Avec un élément supplémentaire : le Hamas bénéficie d'une véritable implantation populaire, alors que les autres organisations sont toujours restées minoritaires. C'est donc à Israël qu'a échu le rôle de réduire militairement le Hamas. Mais la nouvelle agression contre Ghaza a fait du mouvement islamiste le véritable porte-drapeau de la résistance palestinienne, à l'inverse d'un mouvement Fatah, qui apparaît devenu amorphe, docile, à la limite de la complicité ou de la complaisance avec l'agresseur.

Mahmoud Abbas l'a bien senti, et tente de se racheter depuis quelques jours, en mettant en avant l'unité nationale palestinienne. Mais il pourra difficilement remonter la pente. Pour lui, les dégâts semblent être définitifs. Il risque désormais d'être mis en minorité, non seulement à Ghaza, mais aussi en Cisjordanie.

Par ailleurs, l'attaque israélienne contre Ghaza était basée sur un postulat qui s'est avéré totalement erroné. Les acteurs de la crise pensaient que les Palestiniens prendraient leurs distances avec le Hamas, ou se révolteraient contre lui, en l'accusant d'être responsable des difficultés qu'ils subissent. Difficultés de la vie quotidienne d'abord, en raison de l'embargo en vigueur depuis plusieurs mois ; difficultés de la guerre ensuite, avec les morts et blessés depuis la dernière attaque israélienne. Ceux qui ont pensé cette nouvelle guerre semblaient s'attendre à une sorte d'intifadha contre le Hamas. Comme si les Palestiniens étaient victimes d'une crise économique, humanitaire ou financière, et qu'ils devaient s'en prendre à un mauvais gouvernement. Ah ! Si la question palestinienne pouvait être réduite à une simple question de revenu, de niveau de vie et de bien-être !

Ce postulat occultait le fond du problème. Les Palestiniens de Ghaza ne demandent pas d'aide humanitaire. Leur préoccupation première n'est pas le pain. Ils ne protestent pas contre une dégradation des conditions de vie, contre une inflation galopante ou contre les conséquences sociales d'une récession économique. Ils demandent le retour à leur terre, pour y établir un Etat, leur Etat.

Les Palestiniens de Ghaza ne sont pas otages du Hamas. Ils ont plutôt tendance à le considérer comme la principale organisation luttant pour la reconquête de leurs droits nationaux. Le facteur religieux devient dès lors secondaire. Comme avec le Hezbollah au Liban, des nationalistes, musulmans ou chrétiens, des laïcs et des libéraux vont rallier le Hamas, non parce que c'est un parti religieux, mais parce qu'il défend une idée nationale qui leur paraît juste. Et ce renforcement du Hamas se fera forcément aux dépens du Fatah, dont la dérive ne semble guère devoir s'arrêter.

Le Hamas se substitue ainsi au Fatah historique. Ce n'est pas un hasard si des dirigeants historiques du Fatah, comme Farouk Kaddoumi, se retrouvent plus proches du Hamas que de la direction de l'Autorité palestinienne, pourtant issue du Fath. Kaddoumi a été le compagnon de Mahmoud Abbas pendant quatre décennies. Mais aujourd'hui, il estime que Khaled Mechaal représente mieux l'idée nationale palestinienne. Il reste à savoir si les dirigeants israéliens ont envisagé ce schéma, et pris délibérément le risque de remplacer le Fatah par le Hamas. Ou si c'est là le résultat d'un faux calcul de leur part. Car même défait, le Hamas s'en sortira renforcé.